Collectionner: une passion contagieuse
Il y a des enseignants en arts plastiques qui communiquent à leurs élèves non seulement leur matière, mais leur passion pour l’art : leurs élèves mènent alors leurs projets avec un enthousiasme plus vif.
Lors d’une récente visite à Québec, j’ai décelé un enthousiasme remarquable chez deux galeristes : Norbert Langlois et Abdelilah Chiguer, propriétaires de la Galerie 3. Collectionneurs avant de prendre la direction d’une galerie, ils se distinguent par leur volonté de faire découvrir les arts à un large public dont ils incitent les membres à partager avec eux leur passion pour l’acquisition d’œuvres d’art.
Ils soulignent l’importance de l’accueil qu’ils réservent aux visiteurs de leur galerie afin de faire tomber leurs préjugés. Il n’est pas rare qu’un spectateur veuille comprendre « tout de suite » un tableau ou une sculpture, et de ce fait, puisse se sentir frustré de ne pas y parvenir. Selon eux, le rôle du galeriste consiste à amener le spectateur dans un état de bonne réceptivité à l’égard de l’objet d’art, puis dans un état de confiance en sa propre sensibilité « intelligente ». Il peut certes le renseigner sur l’œuvre, mais également sur la démarche de l’artiste, ce qui enrichit les interactions avec l’œuvre.
« Quand on achète une œuvre d’art, on pose un geste de confiance envers soi-même. L’œuvre d’art sur le mur rappelle chaque jour cette confiance. »
Ces collectionneurs-galeristes se font un devoir de recruter de nouveaux types de collectionneurs. Il ne s’agit pas nécessairement de personnes disposant de grands moyens financiers. Ils donnent l’exemple d’un enseignant du secondaire qui, au fil du temps, s’est constitué une collection de plus de deux cents œuvres ! L’âge non plus ne représente pas un obstacle à l’achat d’œuvres d’art. À ce sujet, ils relatent l’histoire d’un très jeune acquéreur qui était passionné pour un tableau, mais qui ne disposait pas de la somme nécessaire pour l’acheter. Les galeristes lui ont donc proposé, à sa grande joie, un financement sur douze mois sans intérêt. Ils ont peut-être favorisé ainsi l’émergence d’un nouveau collectionneur. Après tout, c’est le cas des trois quarts de la clientèle qui ont acheté chez eux une première œuvre.
La communauté dont fait partie la Galerie 3 participe à de nombreux événements et vernissages. Les deux galeristes considèrent que Québec est pour eux la ville de tous les possibles : les galeries d’art actuel sont concentrées dans un secteur de deux kilomètres carrés, dont le centre Méduse où toutes les disciplines se côtoient (art visuel, vidéo, performance, cinéma…) en est le noyau.
Selon Norbert Langlois et Abdelilah Chiguer, il reste beaucoup à faire pour contrer le désengagement des gouvernements face à la culture et à l’art contemporain. Cependant, le milieu de l’art se mobilise, se concerte et élimine les frontières entre des institutions établies il y a vingt ou trente ans : à titre d’exemple, la Foire en art actuel de Québec a provoqué un métissage entre un centre d’artistes, des artistes non représentés et des galeries commerciales.
Ce type d’événement a fait en sorte que beaucoup d’artistes ont pu bénéficier d’une approche inespérée avec des amateurs d’art auxquels ils ont pu vendre des œuvres. Quant aux acheteurs, ils font partie de la nouvelle génération de collectionneurs : ils se procurent des pièces qui les touchent, « posent ainsi un geste de confiance envers eux-mêmes ». Ils sont conscients de soutenir et de promouvoir le milieu de la création et des artistes émergents. Leur passion supplante l’idée de faire un placement !
Quant à moi, ma rencontre avec ces deux galeristes déclenchera-t-elle ma décision d’acheter une première œuvre ? Peut-être bien, car maintenant je me reconnais davantage dans les caractéristiques d’un acheteur potentiel.
J’entrevois aussi la possibilité d’entreprendre ma propre collection : en tant qu’enseignant, je me retrouve devant la fascination toute personnelle de vivre avec des œuvres qui me provoquent et me rappellent mon engagement à l’égard de l’art.