Une ville en papier à l’ère numérique
Le projet de médiation culturelle dont rendra compte cet article s’est déroulé dans plusieurs écoles primaires et secondaires du Centre de services scolaire Marie-Victorin. Il prend appui sur la carrière de Claude Lafortune, dont les œuvres sculpturales narratives sont entièrement réalisées en papier. Échelonnée sur près de soixante ans, la carrière artistique de ce créateur longueuillois a marqué trois générations de Québécoises et de Québécois. Intitulée Longueuil en papier à l’ère numérique : passe ton ciseau au suivant !, la médiation proposait à 373 élèves de découvrir la portée de son œuvre, de l’envisager comme source d’inspiration artistique en tirant profit du potentiel des nouvelles technologies1.
Ce projet collaboratif, qui s’est déroulé sur une période de deux ans (de juin 2019 à juin 2021), a offert la possibilité d’explorer à la fois les techniques du travail du papier, relatives à la création en trois dimensions, et les outils servant à la conception d’œuvres tangibles grâce à l’utilisation du numérique. L’initiative visait à interroger la culture et la technologie comme outils façonnant l’espace urbain, et ce, afin d’imaginer l’avenir des arts visuels au sein des humanités numériques.
Un travail de recherche a d’abord permis d’identifier et de réunir les matériaux employés – tels le papier et le matériel audiovisuel portant sur l’œuvre de Lafortune. Cette recherche allait servir à faire découvrir celui-ci aux élèves. En classe, en octobre et novembre 2019, ces derniers ont commencé à donner forme à leurs premières créations en papier et en carton destinées à la réalisation collective de leur ville. Les jeunes ont été conviés à en imaginer une version idéale, « futuriste et verte », c’est-à-dire respectueuse de l’environnement et en phase avec les nouveaux médias. Avec les enseignants de différentes écoles primaires et secondaires régulières, ainsi qu’avec l’École régionale du Vent-Nouveau – dont les élèves multihandicapés sont âgés de douze à vingt et un ans –, ils ont accueilli l’artiste lors d’ateliers-causeries. Tous ont été émerveillés et subjugués par Claude Lafortune. Nous n’entendions plus que le bruit de ses ciseaux lorsqu’il a, au grand bonheur de tous, découpé une colombe les mains derrière le dos ! Âgé de quatre-vingt-trois ans, l’homme n’avait rien perdu de son charisme. Unanimement, les élèves ont demandé un rappel de cette présentation magique. Plusieurs d’entre eux se sont mis à découper du papier et ont posé des questions au prolifique créateur en lien avec sa pratique : il a marqué à jamais leur imaginaire. La réalisatrice Tanya Lapointe et son équipe ont rendu visite à l’École Vent-Nouveau dans le cadre de leur documentaire Lafortune en papier, mettant ainsi en valeur le côté profondément humain de l’artiste derrière ses ciseaux. Tout comme lors de ses émissions de télévision ainsi qu’avec les jeunes qui ont participé à l’initiative, il nous a fait (re)découvrir que la vie et l’art célèbrent la diversité et l’inclusion.
Dans les mois suivants, la réalisation d’éléments architecturaux et de personnages urbains en papier et en carton s’est poursuivie. Graduellement, les jeunes créateurs ont été sensibilisés aux divers aspects liés aux nouvelles technologies grâce à la venue, en classe, de spécialistes et de techniciens du centre de services scolaire ainsi que d’ingénieurs de la compagnie Pratt & Whitney Canada. L’apprivoisement des possibilités offertes par ces technologies, et les besoins qui en ont résulté, ont entraîné la tenue de formations pour les enseignants et plusieurs élèves, dont l’une offerte au Fab Lab du centre Le Moyne-D’Iberville. Parallèlement, sur le plan technique, l’assemblage et le calibrage des imprimantes 3D ont exigé d’innombrables échanges avec les spécialistes en place. L’acquisition de ces nouvelles compétences et l’utilisation des équipements numériques ont nécessité un engagement individuel et collectif de la part de tous, ainsi qu’un travail de collaboration et de partenariat inédit.
Dans ce contexte, le travail de médiation culturelle a illustré les possibilités offertes par des pratiques de création complémentaires en arts visuels. Combinant le numérique et l’art du papier, il marque également l’expression d’un virage réel, bien qu’exploratoire, de la pratique de l’enseignement des arts au primaire et au secondaire vers l’intégration des nouvelles technologies.
Au cours de l’hiver 2020, les élèves ont exploré comment ces supports contribuent à la création d’éléments urbains et peuvent être intégrés à une œuvre collective révélant leur conception d’une ville citoyenne idéale. Encouragés à développer leurs idées par le dessin numérique, ils ont participé à l’ensemble des étapes de la réalisation. Tous ont expérimenté la complexité inhérente à ce processus – de la modélisation graphique aux tentatives d’impression 3D, en passant par l’application de multiples correctifs. Dans ce contexte, le travail de médiation culturelle a illustré les possibilités offertes par des pratiques de création complémentaires en arts visuels. Combinant le numérique et l’art du papier, il marque également l’expression d’un virage réel, bien qu’exploratoire, de la pratique de l’enseignement des arts au primaire et au secondaire vers l’intégration des nouvelles technologies. Ce travail de médiation nous demande de poser un regard sur des pratiques artistiques qui nous sont moins familières. Malgré tout, la poursuite d’un objectif commun de création nous a permis de concevoir un ensemble cohérent.
Longueuil en papier à l’ère numérique a fait l’objet d’une exposition présentée jusqu’en juin 2021 dans divers lieux de la municipalité dans le cadre de l’événement Printemps culturel organisé par la Ville de Longueuil. En décembre dernier, l’ensemble de l’œuvre et de la médiation a remporté un prix de reconnaissance Essor, remis par le ministère de l’Éducation, dans la catégorie « Initiative ».
En plus de la participation engagée de tous les acteurs, nous avons pu compter sur l’appui du Bureau de la culture de Longueuil, du ministère de la Culture et des Communications ainsi que d’autres partenaires publics et privés.
La mission de l’Association québécoise des enseignantes et enseignants spécialisés en arts plastiques est de promouvoir et de défendre la qualité de l’enseignement des arts, de stimuler la recherche et de favoriser le partage d’expériences pédagogiques.
1 Marie-France Bégis (commissaire) et Cathy Jolicoeur (pédagogue et coordonnatrice) ont collaboré avec les personnes suivantes dans la réalisation de cette médiation multidisciplinaire et tiennent à les remercier : les enseignantes et enseignants Eve Filteault, Nadine Drolet, Marie-Claude Préseault, Dany Francis, Karine Lachance, Sylvain Brunet ; ainsi que Dominique Pissard et David Auger (appui technologique).