Abstraite et monumentale, La force ouvrière d’Armand Vaillancourt est une sculpture érigée à Longueuil, en hommage à Michel Chartrand (1916-2010), célèbre chef syndical et réformateur social.

Avec cette œuvre dont l’ampleur rivalise presque avec celle d’une cathédrale, Armand Vaillancourt renoue avec la monumentalité, caractère propre à ses célèbres œuvres d’art public qui ont contribué à sa réputation de démiurge.

Vue de face, la sculpture se dresse tel un mur sombre et massif entre terre et ciel. L’échelle est celle d’un imposant bâtiment de trois étages. La surface unifor­mément noire décline ses nuances chromatiques selon l’angle de la lumière du soleil quand elle éclaire les diverses sections de la construction. Les éléments structuraux (matériaux, textures) interagissent alors de sorte que l’édifice manifeste une authentique et singulière « présence ». À elle seule, sa monumentalité lui confère son éloquente théâtralité. Et quel acteur fut Michel Chartrand ! Tribun au verbe mobilisateur et souvent irrévérencieux, il a commencé sa carrière de contestataire social en prenant part aux grèves d’Asbestos (1949), Louiseville (1952) et Murdochville (1957). Figure de proue du mouvement syndical, inlassable dénonciateur des inégalités économiques, ses interventions courageuses ont largement contribué à améliorer la condition des salariés. Le coloré et bouillant président du Conseil central des syndicats nationaux (1968-1978) s’est taillé une stature qu’honore aujourd’hui une sculpture monumentale. Son auteur, Armand Vaillancourt, est un artiste qui ne se prive pas de clamer haut et fort un engagement social que partagerait certainement Michel Chartrand.

Armand Vaillancourt, La force ouvrière Hommage à Michel Chartrand, Sculpture monumentale, Photo : Vie des Arts, SODRAC

V comme Victoire

Observée de profil ou considérée en son entier en tournant autour, la sculpture donne à voir une suite de paliers dont la gradation verticale produit l’effet visuel d’une montée vers le ciel qui joue le rôle d’arrière-plan. Sa forme en « V », comme dans victoire, délimite une frontière à la fois ouverte et fermée qui instaure un dialogue critique sur « ce que représente l’espace pour le genre humain », soit le lieu d’un habitat potentiel ou encore un lieu destiné à être aménagé. En l’occurrence, La force ouvrière s’érige comme un rempart qui, à la fois, opacifie l’horizon et le découpe selon les plis de deux gigantesques paravents.

Paradoxale, une harmonie règne entre la puissante verticalité de la sculpture (10 mètres) et l’étendue paisible du parc (785 hectares) qui l’entoure. Ainsi, l’ouvrage La force ouvrière monumentalise l’environnement sans obstacle (loin des massifs de fleurs ou des arbres) où elle règne majestueusement. La rudesse froide du métal et sa hauteur symbolisent l’héritage industriel dont elle évoque la puissance dominatrice. Mais c’est pour mieux rappeler en contrepoint la perception du monde que s’était forgé pour le combattre Michel Chartrand dont ce parc porte le nom. C’est ce que justifie Armand Vaillancourt de déclarer : « L’ingénierie tout autant que l’art a propulsé la conception de l’œuvre. » En effet, composé de 22 plaques d’acier de 1,20 m de large et de 20 cm d’épaisseur (chacune pesant 10 tonnes), le monument a requis au moins quelque 250 tonnes de métal. La surface extérieure de la structure autoportante a d’abord été traitée au jet de sable, puis avec un revêtement de zinc ; elle a été couverte ensuite avec un mélange de peinture noire mate et d’époxy (pour bien fixer le métal) ; enfin, une dernière couche sur la totalité de la surface a été appliquée pour créer une uniformité qui donne à l’ensemble sa « puissante présence ».

Poétique de l’espace

La base sur laquelle repose La force ouvrière se présente comme une scène surélevée au cœur du parc de Longueuil. Une base ? Sans doute conviendrait-il mieux de parler d’un immense piédestal ou, mieux encore, d’une plateforme géante. Sa construction a mobilisé plus de 100 camions pour le transport du béton armé et des 80 tonnes de tiges d’acier.

Cependant, pour sobre qu’il soit, l’usage que fait Vaillancourt des matériaux n’en est pas moins éloquent : « Les matériaux, précise-t-il, sont un véhicule pour l’expression de la dynamique humaine et du potentiel de notre société lorsque les gens travaillent ensemble vers des buts communs, tout en assurant les droits fondamentaux : nourriture, logement, travail. »

Le promeneur qui s’aventure auprès de la sculpture devrait prendre conscience de la démesure de l’ère industrielle qui a conditionné, pour le meilleur et pour le pire, l’essor de la modernité. À titre d’exemple, les formes géométriques sévères au milieu desquelles il est possible de déambuler rappellent les grappes de gratte-ciel surgies au milieu de certaines villes. Quiconque s’approche de La force ouvrière se sent tout petit au milieu des brames d’acier qui sectionnent l’horizon.

Heureusement, Armand Vaillancourt propose d’y voir une poétique de l’espace. Il s’empare des formes géométriques oppressives du monde tel qu’il est construit, pour élever un monument sculptural à la mémoire des travailleurs en hommage à Michel Chartrand qui, toute sa vie, s’est fait l’ardent défenseur des causes ouvrières. Magnifique !

Notes biographiques

Armand Vaillancourt est sculpteur et peintre. Né en 1929 à Black Lake (Cantons de l’Est), il tient sa formation de l’École des beaux-arts de Montréal (1951-1955). Sitôt sorti, il se fait connaître avec une œuvre monumentale : L’arbre de la rue Durocher (aujourd’hui au Musée national des beaux-arts du Québec). En 1966, il prend part au Symposium de sculptures qui dote le mont Royal de sculptures qui assurent une grande notoriété à leurs auteurs. Il obtient des commandes dont l’exécution requiert sa présence dans des villes à l’étranger : San Francisco, New York, Paris, Milan, Bâle, Bruxelles. L’originalité et l’ambition de ses créations, tout comme son engagement social, suscitent des controverses d’où il tire une part de sa célébrité. Parmi les nombreux prix qui jalonnent sa carrière, le prix Paul-Émile Borduas (1993) est le plus prestigieux. Les œuvres d’Armand Vaillancourt rehaussent des places publiques au Canada, aux États-Unis et en Amérique latine. Elles font partie des collections des grands musées du Canada.

La force ouvrière 
Sculpture monumentale Hommage à Michel Chartrand par Armand Vaillancourt, Parc Michel Chartrand Longueui