Le pouvoir de la lenteur advient dans la contem­plation des choses, il s’installe dans une perception que nous avons du temps qui passe. L’exposition La lenteur et autres soubresauts présente le travail de trois jeunes artistes qui, chacune à leur manière, parviennent à sublimer « cette disponibilité de l’individu » comme aimait l’appeler Pierre Sansot, philosophe français (1928-2005).

Chez Nathalie Grimard, la lenteur va de pair avec la patience : patience de l’esprit qui accompagne le geste délicat de la broderie, patience de l’être qui veut faire son deuil. Dans Nœuds (1 à 12) et L’héliport, l’artiste utilise des fils provenant du pyjama que portait son père le jour de son décès, à 71 ans. Que de patience émotionnelle et artistique lui a-t-il fallu pour suturer les plaies béantes de cette perte ! Chaque tableau narre le récit de cette patience par une topographie singulière faite de fils, de nœuds et d’une myriade de trous percés à l’aiguille. L’acte de perfo­ration révèle une forme de tension concentrique, témoin de la souffrance vécue par la perte. De l’ensemble se distingue un élément commun : le cercle. La forme orbiculaire représente le cercle marqué au sol de l’héliport jouxtant l’hôpital où le père de l’artiste est décédé. Cette vision qu’elle avait de sa chambre devient presque méditative lorsqu’elle renvoie à la forme diagrammatique du mandala (Nœuds 1 et Nœuds 8). On peut même se laisser aller à voir dans ces tableaux texturés une cartographie de l’âme (pourquoi pas celle du défunt !). Dans une dimension symbolique plus traditionnelle, et moins personnelle, le lien avec la forme de la roue (ici anamorphique) ne passe certainement pas inaperçu. Symbole des cycles (de vie et de mort) qui se succèdent, elle est aussi celui du temps qui passe.

Ce temps qui passe ne serait pas perceptible s’il n’était pas tributaire du mouvement et de la transformation. Erika Kierulf choisit de l’explorer par la contemplation d’une nature œuvrant dans la lenteur. L’artiste propose deux vidéos et une série de 10 photo­grammes mettant en scène des milliers d’oiseaux assaillant un arbre dans Finally we are one (or Conscious transference), de délicats cocons occupant un autre arbre dans The Nest (chasing instar) ou une plante desséchée dans la série You have the sun, I have the moon. Il se dégage de chacune des œuvres une forme de poésie visuelle de la contemplation provenant de la force et de la stabilité de l’arbre, de la blancheur des cocons et de la constellation de points, de lignes et de taches des photogrammes dessinant les nervures de la plante morte. Si elles donnent l’impression que le temps s’est arrêté, il n’en est rien. La cacophonie des milliers d’oiseaux, d’emblée irritante et envahissante, devient ambiante. S’évanouissant dans l’œil contemplatif de la scène, le cri muet des volatiles fait écho au silence des cocons blancs minutieusement tissés par des milliers de chenilles. Cette communauté est plus discrète à l’oreille humaine que celle des oiseaux, mais non moins active.

Chez Anne-Renée Hotte, la communauté n’est pas envahissante. Elle est calme et paisible : c’est la famille, lieu par excellence de la socialisation et de la transformation individuelle, lieu qui rythme les rites de passage (enfance, adolescence, âge adulte). La vidéo La lignée place la famille dans un paysage serein : une forêt enneigée où se déplacent des individus vêtus de noir. Une femme tient une petite fille par la main et la guide au milieu des arbres. Dans un mouvement de travelling d’une émouvante lenteur, l’enfant passe de main en main. On ressent dans ce geste l’accueil de sa famille, véritable reconnaissance généalogique. Les deux photos qui avoisinent la vidéo, La lignée 1 et La lignée 2, montrent 14 personnages : ce sont les mêmes que ceux de la vidéo. À gauche, ils sont éparpillés, ce sont presque des points noirs anonymes qui composent l’immensité du paysage. À droite, ils sont placés les uns derrière les autres, peut-être pour donner davantage corps au concept de filiation ! Qui sont-ils ? Peu importe. Que font-ils ? Ils sont ensemble, ils passent à travers le temps comme l’enfant de la vidéo guidée par la main de la femme en noir.

De cette exposition, il se dégage une forme de sagesse que seule la « disponibilité de l’individu » permet d’atteindre et de vivre. 

LA LENTEUR ET AUTRES SOUBRESAUTS
Galerie Trois Points, Montréal
Du 12 janvier au 16 février 2013