En poussant la porte du centre d’artistes Regart, on a l’impression de pénétrer dans l’atelier de François Mathieu, espace sacré du sculpteur où s’entretient un dialogue entre l’idée et la chose. La chose qui a inspiré l’artiste pour cette exposition est le ballon de soccer. La complexité physique de sa structure, de prime abord insoupçonnée, révèle un défi de taille lorsqu’il s’agit de recréer la sphère dans l’espace. L’artiste ne s’embarrasse pas de calculs mathématiques. Le seul outil qui compte est l’observation. C’est à tâtons qu’il procède. Faut-il se perdre en chemin pour prendre le temps d’expérimenter les tensions inhérentes à la physicalité de l’objet, d’en examiner la forme et d’en conceptualiser l’idée ?

Entre poids et légèreté : se sentir déstabilisé !

L’essentiel pour l’artiste n’est pas le résultat, mais le processus. Ce n’est donc pas un hasard si l’exposition présente plusieurs modules fragmentés… « en chantier ». Bien qu’étant solides puisqu’en béton, ils semblent fragiles. Sous l’effet d’une gravité apparente, seraient-ils à deux doigts de s’écrouler, s’affaisser ou tomber ? Les béquilles de bois qui soutiennent certaines sculptures ne font qu’accentuer la perception conflictuelle (tout tient vs tout s’écroule) qui envahit le regardeur.

Léger sur le terrain, le ballon de soccer devient pesant sous la main de l’artiste. Ce dernier procède par moulage de béton pour reconstituer les alvéoles qui façonnent l’objet rond. À l’entrée de la salle d’exposition, on peut voir Épinette en pot (2014), une demi-sphère au centre de laquelle se trouve un pieu en bois. Si celui-ci permet de maintenir les pièces entre elles, il donne aussi l’impression d’être planté dans la structure. Est-ce pour la clouer au sol ou l’empêcher de s’envoler ? Tout est question de perception et de tension entre elles ! Ces tensions sont renforcées face à Un tour, venu d’un centre (2014), l’unique sphère suspendue constituée d’alvéoles en cuir et placée en marge des sculptures fragmentées. La sphère semble tenir dans l’espace grâce à un savant système de poulies et d’ancrages élaboré sur la base de calculs complexes. Tout comme avec les béquilles, l’artiste nous trompe ! La suspension de l’objet sphérique ne résulte pas d’une formule mathématique, mais d’une approche beaucoup plus intuitive et déductive reposant sur des essais et erreurs. Le tour de force est réussi ; nos sens sont sans cesse mis à l’épreuve !

Une perception qui nous colle à la peau

Le fait que François Mathieu utilise le cuir, peau naturelle, comme surface de son unique sphère ouvre la porte à un champ lexical qui donne au langage sculptural de l’artiste profondeur, richesse et subtilité. La peau, enveloppe protectrice et structurante par excellence, donne forme et corps à la matière qu’elle entoure, à l’instar du moule du sculpteur. Le glissement métaphorique de la peau au moule permet de mettre en valeur cet outil fondamental du pro­cessus du moulage. Alors qu’il tend habituel­lement à s’effacer au profit de l’œuvre – détruit, réutilisé ou oublié –, il devient ici objet d’art.

Sur le mur de gauche de Regart, l’œuvre Trois stades (2014) présente une déclinaison des formes alvéolaires chères à l’artiste. Une ligne horizontale tracée à mi-hauteur relie trois temporalités inhérentes à sa pratique. De l’empreinte – trace laissée lors de la prise de forme de l’objet (temps de séchage ou de saisie du béton) – à l’objet moulé en passant par le moule, François Mathieu donne à voir une topologie du moulage qui révèle toute l’importance du processus dans l’élaboration de la forme. Si l’on convoque les propos de Georges Didi-Huberman au sujet de l’empreinte vue par l’ichnologue, les formes sont plus que cela : elles ne résultent pas du processus, elles sont des processus en soi. « Ces processus, à proprement parler, n’ont pas de fin, [et] l’image actuellement vue n’est que le “présent anachronique” d’un jeu ininterrompu de déformations, d’altérations, d’effacements et de “revenances” de toutes sortes1 .» L’origine de la chose ne se trouve-t-elle pas dans un foisonnement d’idées en attente d’une prise de forme qui se fait grâce au geste artistique ? 

(1) Georges Didi-Huberman, L’empreinte, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1997, p. 190.

FRANÇOIS MATHIEU ENTRE L’IDÉE ET LA CHOSE, SE PERDRE EN CHEMIN
Regart, centre d’artistes en art actuel, Lévis
Du 26 juin au 10 août 2014