L’exposition du Musée des beaux-arts du Canada se présente comme une rétrospective de la photographie canadienne d’avant la révolution numérique. En plus des grands projets documentaires, la période 1960-2000 donne naissance à de nouvelles tendances esthétiques et s’étend de l’autobiographie aux recherches conceptuelles. L’apparition de ces tendances atteste notamment le développement et l’essor de la photographie au Canada comme un mode d’expression artistique contemporain de premier plan.

Le contenu de l’exposition, La photographie au Canada, 1960-2000, montée par la commissaire Andrée Kunard s’ordonne de façon thématique. Au chapitre des portraits, plusieurs clichés retiennent l’attention. Dans une photographie datant de 1972, Sam Tata présente le cinéaste Norman McLaren, assis dans un fauteuil, dans une posture méditative. La photographie pénètre l’univers intime du créateur, elle dévoile son décor, son chez-soi où il s’abandonne. Le cinéaste détourne ses yeux de l’objectif de la caméra, penche légèrement la tête. Il semble se perdre au hasard de ses pensées profondes. La photographie révèle ici un aspect méconnu de la personnalité du sujet.

Chez Donigan Cumming, la photographie devient un support pour réfléchir sur la condition humaine. Dans une mise en scène étudiée, il immortalise un couple âgé dans une pose inhabituelle. La femme, assise sur un tabouret, presse entre ses deux mains la tête d’un homme portant un vêtement féminin en fourrure. Les deux personnes sont immobiles et dégagent une forte charge émotive. À la fois d’une grande beauté, mais aussi fortement grotesque, cette photographie émeut par l’intensité du rapport humain qu’elle rend visible. Le couple captif dégage à la fois tendresse et répulsion, amour et pathétisme. Derrière l’ambiguïté de la scène qui interroge les normes sociales dans la représentation de la vieillesse, se dégage chez les deux protagonistes l’ultime désir de vivre et de ressentir. Si Cumming explore des enjeux liés à l’identité et à la sexualité, il en sera de même, sous un autre registre, avec Suzy Lake. Dans son œuvre Seize sur vingt-huit datant de 1975, elle se représente à différents moments de son enfance et de son adolescence montrant que l’inter­relation entre l’identité et le corps est en constant changement.

Holly King La forêt voilée, 1997 Épreuve à développement chromogène, 159 X 189 cm Collection du MCPC, Musée des beaux-arts du Canada Acheté en 1998

Si le portrait comme genre occupe une large place dans cette manifestation, il en est de même pour le paysage. Dans La forêt voilée (1997), Holly King met en représentation une nature éclatée. À l’instar de l’ensemble de sa démarche artistique, elle explore les croisements entre peinture et photographie par la construction d’un décor miniature qu’elle photographie pour donner naissance à un grand paysage fantastique. Les fictions que l’artiste invente constituent une forme de riposte au mode documentaire de la photographie. Les scènes savamment éclairées produisent des effets étranges, hors de l’ordinaire : elles remettent en question notre rapport à la matérialité du monde. En ce qui a trait à Edward Burtynsky, lui aussi s’intéresse aux liens entre la peinture et la photographie, mais contrairement aux paysages construits de Holly King, il privilégie des lieux pollués par l’activité humaine. Avec Résidus de la mine de nickel no.30, le photographe dévoile un site industriel dégradé où ruisselle une substance d’apparence létale d’un orangé très vif sur une plaine alluviale aux allures d’enfer. Malgré les ravages du déchet minier sur la nature, la scène devient spectaculaire. La stricte documentation d’un lieu et son rendu expressionniste abstrait produisent chez le spectateur une réaction déroutante. La splendeur de l’effet visuel obtenu par l’oxydation du fer en fusion se trouve en porte à faux avec les préoccupations environnementales. Derrière la magni­ficence troublante de la scène, l’artiste éveille les consciences sur la nécessité de préserver les écosystèmes.

La photographie canadienne de cette période s’exprime également à travers des recherches conceptuelles. Dans son œuvre Dessin solaire no. 2, Serge Tousignant réalise une composition géométrique issue de l’incidence de la lumière sur un objet. Ainsi, quatre petits bâtons plantés dans le sol réfléchissent des ombres portées formant une structure aux propriétés géo­métriques bien définies. L’effet est saisissant, la matière se confondant au motif éphémère créé par les ombres.

Michael Snow exploitera également les propriétés optiques de la photographie. Entre 1973 et 1974, il compose son œuvre Champ, une grille de quatre-vingt-dix-neuf images de parcelles d’un champ d’herbe et de fleurs. Fabriqués à partir de papiers photosensibles, les clichés reposent sur deux grandes photographies en négatif positif du même lieu. Ici, l’artiste réalise des prises de vue successives de portions de nature qu’il met en relation les unes avec les autres. Cette façon de procéder fait en sorte que les caractéristiques du médium photographique deviennent partie intégrante de l’expérience.

Comme le mentionne Marc Mayer, le directeur du MBAC, dans l’introduction du catalogue de l’exposition, la culture photographique d’ici est d’une grande envergure et recèle une diversité extraordinaire. Elle participe à part entière à définir notre histoire de l’art. L’intérêt de la mani­festation réside dans cet état de fait. L’exposition parvient avec succès à réaliser un retour dans le temps et à montrer les grandes mutations qu’a subies la photographie avant son entrée dans le XXIe siècle. 

La photographie au Canada, 1960-2000 
L’Institut canadien de la photographie
Musée des beaux-arts du Canada 
Du 7 avril au 17 septembre 2017