Dans le vaste hall de la salle Jean-Louis-Millette du Théâtre de la Ville, les sept peintures grand format de Michel Beaucage s’imposent par leur matérialité. Elles agissent comme des écrans qui ponctuent le lieu dans des motifs abstraits à prédominance gestuelle qui dynamisent l’espace que le spectateur occupe. Celui-ci donne libre cours à son imaginaire, sollicité par les différentes marques, traces et couleurs du tableau. L’apprécier, le lire, le décrypter devient un plaisir partagé. Nous entrons dans un univers de signes qui se veut immersif, où les lignes et les taches colorées se croisent et s’entrecroisent pour former un champ spatial énergétique qui ne récuse pas la profondeur. Par exemple, dans l’œuvre Acte II : Les pavillons rouges, les tracés en noir se déploient dans des positions horizontales et verticales. Ils composent le premier plan, les pavillons (bâtiments) en rouge forment le deuxième plan, et la surface blanche constitue l’arrière-plan. Ce rapport est inscrit dans la superficie du tableau, et la tension exercée entre les plans crée un mouvement, un effet de profondeur que notre œil tente de saisir, voire d’équilibrer selon une logique euclidienne. Rien n’y fait ; la matière ainsi ordonnée défie toute convention, créant un nouvel espace qui se détache du monde naturel et qui devient autosuffisant.

Cette recherche portant sur de nouvelles conceptualisations du champ spatial caractérise la récente production du peintre. Chacune des œuvres représente un acte distinct dans lequel se matérialisent de nouvelles explorations en matière de perspective optique. Ce type de perspective établit la position que prennent les éléments plastiques juxtaposés à partir de leurs relations chromatiques, de leurs différentes luminosités ou textures de même que de leurs vectorialités. Dans les œuvres Acte I : Le Courroux de l’Empereur Qin et Acte V : La forêt du sage, les lignes prédominantes de couleurs conditionnent les interrelations spatiales qui se succèdent sur la surface du tableau. Les traits allongés et continus s’apparentent à la calligraphie chinoise et structurent la composition des peintures. L’utilisation d’une ligne fluide et ondulée donne un aspect orientalisant aux productions. Mais ce qui est révélateur, c’est qu’elle détermine aussi une catégorie spécifique de la perspective optique, à savoir la perspective arabesque. Dans son ouvrage Sémiologie du langage visuel, Fernande Saint-Martin la définit comme étant un système d’ondulations linéaires, parallèles ou croisées qui alternativement soulèvent la masse topologique du plan originel1, de l’avant vers l’arrière. Fait intéressant, elle indique également que cette perspective a été largement utilisée par l’art oriental avant la Renaissance, et réintroduite, sans avoir été reconnue, dans l’œuvre de Jackson Pollock2.

Cette observation est importante, car elle permet de saisir un aspect déterminant de la démarche actuelle de Michel Beaucage qui a séjourné et exposé à plusieurs reprises en Chine. Dans ses œuvres, la référence à la civilisation chinoise n’est pas uniquement liée à son système d’écriture, mais aussi à un mode spatial. Le geste automatique, caractéristique de la technique de Michel Beaucage, détermine des formes graphiques qui peuvent être associées sur le plan iconographique à d’autres cultures. Ainsi, le langage plastique développé par l’auteur offre une synthèse d’expériences contemporaines en matière de spatialité dans lesquelles l’Orient et l’Occident se reconnaissent. Sa peinture se présente comme un lien de convergence entre différents systèmes de représentation visuelle apparus dans l’histoire de l’art. L’artiste les métisse en une parfaite symbiose. Voilà l’enjeu esthétique majeur que les œuvres révèlent de façon convaincante et qui contribue à son rayonnement. 


MICHEL BEAUCAGE – ACTE VII
Théâtre de la Ville
Hall de la salle Jean-Louis-Millette
150, rue De Gentilly Est, Longueuil
Tél. : 450 670-1611, poste 234
www.theatredelaville.qc.ca
Du 13 octobre 2011 au 14 mai 2012

Sur rendez-vous

(1) Ce terme est de Vassily Kandinsky. Il signifie le support physique et la surface matérielle sur laquelle l’artiste peint ou dessine.

(2) Fernande Saint-Martin, Sémiologie du langage visuel, Presses de l’Université du Québec, Québec, 1987, page 170.