La principale faiblesse de la deuxième Triennale Banlieue! intitulée Là où se prépare le futur est… de ne pas traiter du futur! Les installations des artistes sélectionnés illustrent un présent tellement présent qu’il semble immuable! À en juger par les propos que véhiculent les œuvres des dix-neuf artistes sélectionnés par les commissaires Jasmine Colizza, Julie Alary Lavallée et Nicole Thibault, l’avenir qui se dessine pour la banlieue tient strictement aux images qu’elle donne d’elle-même aujourd’hui. Il est vrai que le thème du futur est difficile à matérialiser, la première Biennale de Montréal soutenue par le Musée d’art contemporain (2014) s’était aventurée sur le terrain de l’avenir sans succès. La prospective exige de l’imagination et de la fantaisie; elle requiert, de plus, des montages et des scénarios suffisamment plausibles pour éviter de tomber dans l’écueil du futurisme ou de l’utopie. À la Salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval, en s’ingéniant à vouloir esquiver ce péril, les commissaires ont manqué d’audace dans leur choix d’œuvres et d’artistes. Qu’il soit clair ici que la qualité des productions et de leurs auteurs n’est pas en cause; c’est la pertinence de les inclure qui est mise en question.

Rajni Perera My Dreams Started Dancing, 2018 Murale 548,6 x 304,8 cm

Même si les regroupements ne sont pas explicitement thématiques, il est néanmoins possible de dégager des thèmes particuliers : le transport, le logement, la vie familiale, le travail, l’environnement, l’aménagement du territoire. Au sujet du transport, le duo Béchard-Hudon a érigé une sorte d’abri ou de station d’autobus intitulé La singularité du banal (2018) où des haut-parleurs diffusent en continu le bruit assourdissant des poids lourds et des automobiles roulant sans cesse sur l’autoroute. Dommage qu’il ne soit pas venu à l’idée de ce duo d’artistes de considérer que dans un avenir proche les véhicules seront tous électriques et se déplaceront sans bruit : serait-il interdit d’imaginer qu’ils permettront alors aux chants des oiseaux de se faire entendre au point de métamorphoser peut-être la banlieue en annexe du paradis terrestre ? L’installation de Julie Lequin Cartographie du Manoir (2018) qui lui fait face est constituée de socles où sont posés une scie sauteuse en carton, un poste de radio, une camionnette miniaturisée placés devant une grande feuille – un bleu d’architecte – composée de dessins enfantins de maisons banales. Elle n’a guère de rapport avec Far Away (2014) de Parisa Foruntan, subtile mosaïque de dessins animés d’oiseaux et de papillons. Ni l’une ni l’autre de ces créations n’entretient de liens avec l’installation complexe L’avenir dès maintenant (maintenir à l’écart avec cœur) (2018) de Jean-Philippe Luckhurst-Cartier à laquelle pourtant elles sont couplées.

Cette installation comprend la projection du film d’une promenade de l’artiste le long d’un grillage qu’interrompent notoirement des panneaux indiquant « Attention clôture ». Sur son chemin, l’artiste ramasse des objets abandonnés qui, litté- ralement sortis de l’écran, sont rassemblés sur une table comme des vestiges. Aux vues d’un camp retranché que montre la vidéo, s’opposent les images fixes des peintures de l’artiste balafrées par des lignes rigides. Le contraste est saisissant entre le réalisme du reportage et l’abstraction des tableaux.

Même si les regroupements ne sont pas explicitement thématiques, il est néanmoins possible de dégager des thèmes particuliers : le transport, le logement, la vie familiale, le travail, l’environnement, l’aménagement du territoire.

Sur le thème du travail, les éloquentes photos de la série General Motors, Ste-Thérèse (The End) datées de 2004 d’Emmanuelle Léonard montrant, par exemple, les travailleurs congédiés de la compa- gnie GM apprenant que l’usine de Sainte-Thérèse ferme ses portes, sont-elles prémonitoires d’une crise ? Qui peut le croire, quatorze ans plus tard, au moment où le Québec fait face à une pénurie de main-d’œuvre ?

Heureusement, un vrai dialogue surgit entre la murale My Dreams Started Dancing (2018) de Rajni Perera et la vidéo Orange County (2002-2003) que signe Henri Tsang. Il y présente un défilé de maisons luxueuses mais conventionnelles d’ins- pirations française, espagnole et italienne qui, à quelques détails près, se ressemblent toutes. Conçues pour le public du comté d’Orange, banlieue de Los Angeles, leurs divers modèles ont été, par la suite, érigés à proximité de l’aéroport de Beijing. Il est clair que l’artiste dénonce l’uni- formisation des résidences unifamiliales implantées dans les zones périurbaines; ce faisant, il n’offre aucune perspective d’avenir contrairement à Rajni Perera dont l’imagerie du futur est animée de per- sonnages de toutes origines occupant la rue et se livrant à une folle farandole. La danse sauvera-t-elle le monde ?

Enfin, coup de cœur de la Triennale Banlieue!Compact Home (2003), livre d’artiste de Mahmoud Obaidi, se présente comme une œuvre fragile et inachevée. Ses pages (encre et aquarelle) rappellent les terrifiantes épreuves qu’a traversées l’artiste et que traversent tous les migrants du monde aujourd’hui et sans doute encore pour longtemps. 

Triennale Banlieue ! Là où se prépare le futur
Commissaires : Jasmine Colizza, Julie Alary Lavallée, Nicole Thibault
Salle Alfred-Pellan, Maison des arts de Laval
Du 29 juillet au 4 novembre 2018