Persistante dualité – entre éducation artistique et création professionnelle
En décembre 2010, j’interviewe l’artiste conceptuel canadien Iain Baxter&. Il me confie un fait surprenant : il n’est pas seulement artiste, il est une sorte de professeur d’art ; il aime enseigner tout simplement.
« En fait, je ne vois aucune différence. Aucune différence entre faire de l’art et en parler. Pour moi, l’art et l’enseignement, c’est la même chose1. »
Néanmoins, depuis l’émergence de la professionnalisation de l’éducation artistique, la dualité reste féroce entre création artistique professionnelle et enseignement des arts plastiques. Pourtant, ces deux domaines pourraient trouver l’un dans l’autre leur homéostasie et alimenter une vision renouvelée du réel. Peut-être est-ce au sein des échanges entre les matières d’enseignement et avec l’interaction des apprenants que pourrait naître une quête équilibrée de la vérité esthétique et du progrès visuel.
Le contexte culturel et économique actuel ne permet qu’à une infime poignée d’élus sur le marché international de vivre uniquement de leur travail ; pour la majorité, la rentabilité de leurs productions se fonde sur la pluralité et la complémentarité de leurs activités professionnelles ; souvent par nécessité, les artistes deviennent professeurs. Pour répondre aux exigences de définitions et de repères, il sera donc convenu de les nommer artistes-éducateurs.
Pour certains puristes, la carrière d’éducateur appose un voile sur le succès artistique. Certains artistes font tout de même le choix, nonobstant les idées reçues, de se consacrer partiellement à la pédagogie. L’histoire de l’art montre que certains artistes, comme Otto Dix, Mark Rothko, Frida Kahlo et Auguste Rodin, n’ont pas eu à justifier la complémentarité de leur pratique pédagogique et artistique.
Couramment, l’artiste professionnel qui enseigne perd une part de sa dignité professionnelle, comme si la compatibilité glorieuse de ces deux disciplines tenait de l’exploit. L’artiste s’impose souvent comme membre d’une élite, il est perçu comme une vedette ; le maître, lui, reste dans l’ombre. C’est comme si les moments de lumière et les moments d’ombre n’étaient pas conciliables.
Pourtant, si l’artiste et le professeur ont a priori des vocations différentes, l’éducation artistique et la création plastique partagent quelques fonctions similaires comme, outre le renforcement du développement cognitif et psychologique individuel, l’adaptation à l’environnement global et le développement de la créativité.
La formation habituelle d’un artiste ne comprend guère de pédagogie, et la formation d’un pédagogue de l’art n’offre qu’une brève exploration des modalités de la création. Quoique les artistes et les pédagogues soient issus de tradition et de contexte différents, en définitive leurs visions se synchronisent. Être artiste revient à remettre en question les conventions, à jongler avec les idées et à faire partager une vision du réel ; être professeur d’art, c’est choisir de poser des questions, chahuter les idées et communiquer sa définition du réel. Nous nageons dans un océan de synonymes.
Favorisons l’inclusion de l’artiste comme créateur libre et polyvalent pourvu de riches compétences techniques et cessons de voir l’éducateur artistique comme un simple enseignant, un distributeur de notes et un « pro » du bricolage ; nous pourrons enfin abolir bien des étiquettes futiles.
Convenons que l’homme est un animal social animé par un besoin fondamental de socialisation et d’échange qu’il est possible de combler par l’éducation artistique et accueillons tous les individus qui font partie de notre parcours comme de potentiels passeurs culturels et éducateurs de l’esthétique du vivant.
(1) Citation de Iain Baxter& tirée du formulaire d’évaluation des attitudes ludiques chez une population professionnelle (Cloutier, 2013). Traduction libre de l’anglais.