L’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM admet chaque année 125 étudiants au profil pratique artistique (création). Vie des Arts a rencontré François Lacasse et Thomas Corriveau, deux professeurs, pour discuter de la relation pédagogique qui se tisse entre un artiste-professeur et des futurs artistes. Entrevues-parallèles.

Vie des Arts : Un artiste qui enseigne est-il professeur ou artiste ?

François Lacasse : « Lorsque j’enseigne, je me considère avant tout professeur. Il faut rester ouvert à toutes les propositions qui sont énoncées par les étudiants et tenter de les faire cheminer ou avancer à partir de ce qu’ils produisent et de ce qu’ils sont. Évidemment, l’expérience d’être un artiste demeure toujours présente et permet parfois d’établir des liens avec des réalités extérieures : le milieu artistique, son fonctionnement. Mais cela permet également de partager la connaissance tirée du travail de création, avec ce qu’il implique de doutes, de questionnements et surtout, la nécessité d’y croire fortement. »

Thomas Corriveau : « On est d’abord un artiste et on peut devenir prof. Pour être un bon prof d’atelier, il faut sentir ce qui anime l’étudiant ; il faut aussi avoir côtoyé les artistes. Quand j’enseigne, j’essaie d’être ouvert à ce que l’étudiant va devenir : quelqu’un assurément qui sera différent de moi. Je dois donc être prêt à aller ailleurs que dans ma sphère personnelle de création ; et pour cela, je dois m’outiller pour répondre. »

VdA : Comment formez-vous les étudiants pour le monde de l’art ?

François Lacasse : « J’essaie avant tout de les faire réfléchir à leur pratique, de développer chez eux un sens critique. Les savoir-faire occupent une certaine place et peuvent être utiles, surtout si on arrive à les affiner, à développer des qualités plastiques. Il faut également amener les étudiants à bien voir ce qu’ils font. Mais ultimement, bien faire et bien voir doivent conduire à poser un jugement, à évaluer avec justesse le travail effectué. En ce sens, je privilégie chez les étudiants le questionnement et la capacité de nommer ce qu’ils font : c’est là que le travail avance, se précise. Aussi, il m’apparaît important que les étudiants s’interrogent sur ce qui les a précédés (pertinence historique) et sur les questions qui s’inscrivent davantage dans l’actualité artistique. »

Thomas Corriveau insiste beaucoup sur la formation en dessin : « C’est assez académique, mais le geste de la main peut devenir spontané, presque comme un réflexe. Apprendre à dessiner, c’est surtout apprendre à regarder, à voir ce qui nous entoure ». Le dessin est une sensibilité à acquérir qui, « sans être une fin en soi, donne des possibilités ».

VdA : Comment préparer un étudiant à être artiste ?

François Lacasse essaie de faire prendre conscience à l’étudiant « qu’être un artiste, malgré un travail souvent individuel et solitaire, c’est aussi un acte social, qui consiste non seulement à proposer un travail au regard des autres, mais aussi à se retrouver devant le jugement qu’ils portent. »

VdA : Quel étudiant serait un bon artiste ?

Pour Thomas Corriveau, les cours d’atelier et le suivi individuel permettent au professeur de « développer une sensibilité pour comprendre qu’un étudiant va avoir ce qu’il faut pour devenir un bon artiste : on sent la personnalité, on sent le talent, la passion et la persévérance dans le travail ». Le professeur peut ainsi « repérer un étudiant qui va aller ailleurs [dans la création], qui aura la capacité d’innover, de chercher d’autres avenues ».

VdA : Pourquoi une maîtrise ?

Selon Thomas Corriveau, la maîtrise est incontournable. Il rappelle qu’au baccalauréat l’étudiant prend connaissance de nombreuses techniques et d’abondantes notions théoriques, qu’il structure son rapport au visuel et qu’il doit s’efforcer ainsi de mûrir sa démarche. « À la maîtrise, l’étudiant est désormais un artiste ; il a quelque chose qui lui appartient et il confirme un engagement qu’il a pris seul. » L’équipe de professeurs l’amènera à poursuivre sa démarche dans un cours-atelier de 12 crédits en création et à préparer le montage d’une exposition. C’est là qu’il construit un vrai réseau.

Pour François Lacasse, « une maîtrise n’est pas indispensable ; plusieurs artistes actuels n’en ont pas et se débrouillent assez bien. Mais elle peut représenter une formation qui donne de nombreux outils pour prendre une part active dans le monde de l’art actuel : ne serait-ce que pour définir avec plus de précision son travail artistique ou énoncer clairement et efficacement les aspects importants d’une problématique ou d’une démarche artistique. La maîtrise permet également, dans une certaine mesure, le développement d’un réseau dans lequel on peut s’inscrire.

VdA : Quelles sont les conditions favorables pour poursuivre les études en arts visuels ?

Pour François Lacasse, les étudiants doivent « sentir la nécessité de préciser la teneur de leur travail et d’en nommer les enjeux ». Ils doivent aussi s’investir dans une réflexion. Toutefois, on pourrait considérer les choses différemment et dire qu’il faut également réunir les conditions matérielles et financières nécessaires pour bien réaliser ces objectifs. »

Pour Thomas Corriveau, il y a un certain équilibre à trouver « entre le talent qu’on a, le caractère artistique et personnel dans sa démarche, la capacité de travailler et la capacité de rayonner. (Car à long terme, en art contemporain, si tu n’es pas bon, personne n’a l’obligation de te garder). Il faut du caractère, de la persévérance, du talent. Un étudiant qui vient d’un milieu plus aisé, qui est encouragé par sa famille, qui n’a pas de problèmes financiers, ça peut être important, mais ça ne garantit pas la réussite. Ce n’est pas évident, une carrière à long terme. » l