Puisque j’habite le territoire de la pointe qui s’avance dans le lac peu profond depuis ma naissance, je m’identifie comme Pekuakamiulnu, être humain (ilnu) du Lac (Saint-Jean), le Pekuakami. J’y œuvre comme artiste, commissaire et art-thérapeute. Depuis près de 30 ans, je m’efforce de contribuer à l’essor de ma communauté en encourageant les gens à développer leur créativité et leurs talents artistiques et en forgeant des espaces de diffusion. Je tente de faire rayonner les artistes autochtones et de garder vivante la culture, en l’actualisant constamment à travers les nouvelles générations. Artiste activiste, je me bats afin de pouvoir exercer ma passion dans ma petite communauté1.

L’exercice de l’art m’a permis de survivre, de devenir ce que je suis. Sans cela, je ne serais plus de ce monde. J’ai la ferme conviction que l’art peut aider à guérir de vieilles blessures et contribuer à retrouver notre « pouvoir personnel » (empowerment). Les pratiques artistiques sont exercées par les Premières Nations depuis des temps immémoriaux. L’art permet un pont avec l’imaginaire, cet espace indestructible, qui est resté vivant malgré les sévices de la colonisation et de la Loi sur les Indiens.

Dans ma communauté, nous sommes de nombreux artistes œuvrant dans diverses disciplines : arts visuels, théâtre, cinéma, littérature, conte, ainsi que musique. La difficulté est que les artistes doivent généralement s’exiler dans les grandes villes pour exercer leurs pratiques par manque de structure dans la communauté. Il y a donc un besoin d’infrastructures et de soutien pour leur permettre de travailler dans la région.

Avec la volonté de rendre hommage à ma sœur Diane, artiste ilnue décédée en 1993, nous avons créé la Fondation Diane Robertson l’année suivante et le symposium Nishk e tshitapmuk/sous le regard de l’Outarde, où étaient conviés une douzaine d’artistes proches de Diane. L’organisme avait aussi pour mission de conserver ses œuvres en plus de mettre en valeur l’art contemporain autochtone.

Parallèlement à mes études et à ma carrière artistique, j’ai aussi mis sur pieds en 2001 l’Association du Parc-Sacré/Kanatukuliuetsh qui veille à la sauvegarde et à la transmission des savoirs et connaissances sur les plantes médicinales. L’Association a compilé une base de données de plus d’une centaine de plantes et produit un recueil sur ses savoirs.

Symposium Que soufflent les Esprits (2018) Hommage à Diane Robertson 1960-1993. Œuvres de Domingo Cisneros, Edwidge Leblanc, Sophie Kurtness et actions d’Eruoma Awashish. Photo : Sonia Robertson
Symposium Que soufflent les Esprits. Hommage à Diane Robertson 1960-1993. Photo : Sonia Robertson

Par la suite, j’ai eu la chance de travailler au Musée amérindien de Mashteuiatsh comme responsable du secteur muséal et chargée de projet de l’exposition permanente ainsi que du site d’interprétation Nuhtshimitsh. Je partageais la vision muséologique de la directrice de l’époque qui se voulait intégrative et participative. Avec la communauté, nous avons réalisé l’exposition permanente en un temps record, impliquant plus de 130 membres de Mashteuiatsh et une trentaine d’artistes et d’artisans. Cette exposition a reçu le Prix d’excellence de la Société des musées du Québec en 2007. Puisque la transmission culturelle des savoirs est primordiale pour nous, j’ai proposé des formations données par des créatrices et créateurs de renom sur divers thèmes (marionnette géante, poésie avec Joséphine Bacon, matières premières avec Domingo Cisneros, etc.). Également, en collaboration avec la Boîte Rouge VIF, nous avons échafaudé deux expositions participatives avec des familles de la communauté qui mettaient en valeur leur savoir-faire et leur créativité par l’intermédiaire d’œuvres et d’objets usuels.

En 2010, après avoir quitté le Musée amérindien, j’ai développé un calendrier d’activités pour le Camping Robertson afin de sensibiliser les visiteurs aux réalités, aux arts et aux cultures autochtones. Il était constitué de diverses activités telles que des soirées de poésie, des projections de films et des spectacles. Durant dix années, cette plateforme de diffusion m’a permis de poursuivre une mission que j’ai à cœur, soit de développer et de faire connaître les artistes autochtones de la région et d’ailleurs.

Un soir de cet été-là, j’ai entendu André Lemelin raconter une histoire d’une vingtaine de minutes. Je fus totalement absorbée, emportée hors du temps, dans un espace ancien, très ancien. Le lendemain, encore sous l’effet du conte, je discutais avec lui, qui a fondé de nombreux événements, et nous avons alors décidé de mettre sur pied, dès l’année suivante, le premier festival de contes et légendes autochtones au Québec. Atalukan permet de garder les traditions orales autochtones vivantes et actuelles. En plus de diffuser et de faire connaître des récits, on y forme des conteuses et conteurs. Depuis ses débuts, le festival en a vu naître plus d’une quinzaine, dont certains font maintenant partie du Regroupement du conte au Québec.

En 2012, j’ai été invitée au Mexique afin de partager mes connaissances sur l’art-nature avec des artistes autochtones mexicains. Subséquemment, avec la commissaire mexicaine Guillermina Ortega, nous avons conçu le symposium de land art/art-nature Renaître – Renouvellement/Renewal – Revival, un échange entre les Premières Nations du Mexique (Totonaque, Mixtec) et du Canada (Ilnuatsh, Anishnabek). Cet événement, mis en place par la Fondation Diane Robertson, a eu lieu en deux temps, soit au Québec en 2013 et au Mexique en 2014. Il a permis aux artistes des Premières Nations du Québec d’entrer en contact avec la culture totonaque, et aux artistes totonaques de connaître la culture ilnue, en plus de permettre un partage des connaissances disciplinaires et de mettre en valeur les pratiques d’art-nature.

Avec l’aide du Conseil des arts du Canada, la Fondation avait amorcé une réflexion sur sa structure organisationnelle et identifié des besoins qui n’ont pu être comblés par les différents conseils des arts. N’ayant aucun moyen de poursuivre leur élan, plusieurs membres ont quitté l’organisme. Avec les nombreuses initiatives portées bénévolement par quelques personnes, le besoin de soutien au fonctionnement se faisait de plus en plus sentir. Avec les modifications des programmes du Conseil des arts du Canada, il fut ardu de répondre aux critères. Le processus s’est échelonné sur cinq ans, pour enfin être complété en 2019. L’un des projets qui ont reçu du financement, Tshinanu (ensemble), a permis à des jeunes en difficulté de participer à une formation de neuf mois valorisant leurs talents artistiques, ce qui a fait naître trois jeunes artistes.

Enfin, en 2016, soutenu par notre conseil d’administration, l’organisme a redéfini sa mission et clarifié son statut en lien avec la communauté et les besoins des artistes. Grâce au programme de soutien de longue durée du Conseil des arts du Canada, Kamishkak’Arts est né de la Fondation Diane Robertson. Ce mot en langue ilnue signifie « ceux qui cherchent ». Sa mission est de soutenir les artistes, artisanes et artisans de toutes disciplines dans leur démarche à divers niveaux : recherche, création, transmission, production et diffusion. Cet organisme permet le développement des talents et de l’expression par l’art, moyen d’affirmation et de guérison. Kamishkak’Arts est un levier social qui génère un sentiment d’appartenance, de fierté et de confiance.

L’organisme a pris de l’expansion avec l’embauche de nouvelles personnes. Un espace pour la création est mis à la disposition des membres et des formations y sont proposées (musique, écriture, théâtre, impro, etc.). Des offres d’ateliers s’ajoutent à la tenue d’événements ponctuels, du programme estival et du festival de contes et légendes, en plus d’un soutien aux artistes pour leurs demandes d’aide financière. Avec la présence de travailleuses et travailleurs culturels, l’organisme a développé des partenariats locaux et soutenu des créatrices et créateurs dans leurs pratiques. Le financement du Conseil des arts du Canada fut reconduit en 2019, nous permettant d’être plus accessibles en offrant des ateliers dans divers lieux (garderies, carrefour social Ushkui, chez les personnes aînées, etc.) et des formations selon les besoins, ainsi qu’en développant des lieux de diffusion novateurs.

Avec la volonté de souligner le 25e anniversaire du départ de Diane Robertson, l’organisme présenta le symposium Que soufflent les esprits en deux temps – un volet peinture durant le grand rassemblement en juillet 2018 et un volet art-nature, présenté lors des Journées de la Culture en septembre de la même année. Ce volet, duquel j’étais commissaire, regroupait les artistes Domingo Cisneros, Edwige Leblanc, Eruoma Awashish et Sophie Kurtness. Des échanges transgénérationnels eurent lieu entre les artistes.

Ainsi, en vingt-cinq ans, j’ai fait valoir et accompagné avec passion des artistes de tous âges. J’ai vu naître des artistes de toutes disciplines, théâtre, performance, conte, musique, peinture, écriture, et cela m’a grandement nourrie. Après toutes ces années de fervente implication, je quitte le communautaire pour me concentrer sur des projets de commissariat indépendant, en plus de poursuivre ma pratique artistique et d’art-thérapeute au travers desquelles je peux aider à l’expression et à la reconnexion de notre territoire réel et imaginaire. L’art est sans doute la plus belle chose pour ramener la fierté et la dignité dans les communautés autochtones. 

1 Cet article est une version mise à jour du chapitre que j’ai publié dans le livre D’horizons et d’estuaires : entre mémoires et créations autochtones (collectif dirigé par Camille Larivée et Léuli Eshraghi, Montréal : Éditions Somme Toute, 2020).