Tous de même format et tous en noir et blanc, une centaine de portraits courent le long des murs. D’une photo à l’autre, le visiteur s’arrête. Surpris, il découvre à chaque station un nouveau personnage, simplement plus âgé d’un an que le précédent.

L’exposition 100 Jahre (2001), Cent ans en français, aligne les portraits de 100 personnes. À raison d’une figure par année, l’accrochage commence avec un nourrisson de huit semaines et se termine sur l’image d’une allègre centenaire. Les photographies ont été prises entre 1994 et 1997. Au cours des trois années de réalisation, Hans-Peter Feldmann a parfois dû attendre un an pour qu’un de ses modèles atteigne l’âge désiré. Le résultat final a été établi à partir des clichés d’environ 130 personnes. Les modèles posent sans affectation et avec simplicité dans leur décor quotidien. Ce sont des parents, des amis, des connaissances. D’une photo à l’autre, que le sujet soit assis ou debout, la pose ne change guère. Se succèdent les images de bambins en couche, d’enfants, d’adolescents, de jeunes femmes ou de jeunes hommes. Les cheveux virent au gris, puis viennent l’âge mûr, la soixantaine, la vieillesse…

Un seul principe, la chronologie, préside à l’organisation de cette mise en forme. En fait, Feldmann dresse comme à son habitude une forme d’index qui devient la base de sa taxinomie obsessionnelle. Ici, la variable de l’âge s’érige en principe absolu. L’ambition de la collecte prend la mesure inverse de l’apparente simplicité du propos. Cette hyperspécialisation par catégorie sécrète un humour particulier. La démarche repose sur la neutralité qu’affichent ces photos proches de documents objectifs et volontairement banalisés. Le système engendré par le paramètre unique qu’est le temps – très exactement l’intervalle de 365 jours – se referme sur un constat inéluctable : on naît, on vit, on vieillit. Mais derrière ce triple truisme, quelque chose nous échappe. Passant d’une photo à l’autre, d’une année à l’autre, le flot temporel balisé par cet astucieux montage auto­rise tout observateur à se réapproprier un ersatz de vie, comme pour lui rappeler la sienne, tandis que la rigidité du classement magnifie la diversité des êtres.

Né en 1941 en Allemagne, Hans-Peter Feldmann fait son entrée dans le monde de l’art à la fin des années 1960. Il compose alors des éditions de livres regroupant des photos de toutes provenances. Il a remporté en 2010 le prix Hugo Boss doté d’une bourse de 100 000 dollars et assorti d’une exposition au Musée Guggenheim à New York. Pour cette exposition, ce stakhanoviste de la tautologie a conçu une autre présentation marathonienne qui aurait pu établir un record Guinness de l’exploit inutile. Utilisant cent mille billets de un dollar – soit le montant de la dotation – pour tapisser en vert, noir et blanc une partie du musée, son installation occupait neuf murs, sur 45 mètres de longueur et 5 mètres de hauteur. Les billets étaient accrochés verticalement et parfaitement alignés. Entre évidence et absurdité, l’ensemble posait de façon littérale et bien appuyée la question de la valeur de l’art ! 

HANS-PETER FELDMANN100 JAHRE, 2001
Dazibao en résidence à la Cinémathèque québécoise
Salle Norman-McLaren
335, boul. De Maisonneuve Est,
Montréal Tél. : 514 845 0063
Le Mois de la Photo à Montréal
Du 8 septembre au 9 octobre 2011