Images « graphiques » de Jean-Paul Riopelle
Peu de gens savent ou se doutent combien Riopelle attachait d’importance aux éléments de promotion et d’accompagnement de ses expositions. Or, parallèlement aux œuvres qui ont fait sa notoriété, ces documents témoignent aussi de la phénoménale inventivité de l’artiste. Voilà ce que veut établir en premier lieu André Hénault, commissaire de l’exposition Riopelle – Séries graphiques.
« Oui, déclare-t-il, Riopelle accordait un soin assez méticuleux à tout ce qui entourait ses expositions : la fabrication du catalogue, la réalisation d’une affiche d’où il déclinait l’image du carton d’invitation, les lettres à ses amis ou à ses galeristes témoignent avec éloquence du souci et du plaisir qu’il avait à mettre au point des images accrocheuses. »
André Hénault s’est ingénié à réunir l’impressionnant ensemble de documents graphiques qui ont accompagné les nombreuses activités de Jean-Paul Riopelle, si bien que l’exposition dont il a eu l’idée et qui est en place au Centre d’archives de Montréal offre l’occasion de suivre depuis ses débuts, en 1947, et presque pas à pas, la carrière professionnelle de Riopelle d’une exposition à l’autre, d’un événement public à l’autre. À cette fin, le circuit qu’il a monté comporte trois zones : Au cœur de la cité (1947-1964) ; Les années Maeght (1964-1985) ; L’album et les paysages intérieurs. À ces trois volets s’ajoutent des pièces inédites singulières.
Beaucoup de documents graphiques tirent leur origine d’esquisses ou de maquettes originales qui se présentent sous la forme d’ébauches dessinées, d’encres, d’aquarelles, de gouaches, d’estampes (lithographies, sérigraphies), d’huiles ou de techniques mixtes réalisées sur divers supports : papier, cartons, panneaux variés. C’est tout le charme et l’intérêt de l’exposition que de suivre l’élaboration des documents du stade de leur conception à celui de l’impression en montrant, quand c’est possible, les étapes successives de leur production et donc, parfois, les projets intermédiaires – souvent magnifiques – qui n’ont pas été retenus.
L’occasion est propice aussi de retrouver un peu du climat des années de travail de Riopelle, principalement en France, et de voir se profiler les liens qu’entretenait le peintre et sculpteur avec les acteurs du monde de la culture et des arts. À ce sujet, André Hénault signale, par exemple, que la première œuvre imprimée de Jean-Paul Riopelle est une encre qui figure dans le catalogue de l’exposition internationale des surréalistes organisée par André Breton en 1947. Une encre encore fait partie de la couverture du manifeste Refus Global dont on peut admirer un exemplaire. André Hénault rappelle une anecdote : « En 1948-1949, pour déjouer la mise à l’index de certains auteurs qui n’avaient alors pas droit de cité au Québec, Riopelle expédiait un exemplaire de leur livre à ses amis en prenant soin de masquer la couverture avec un dessin de son crû : une œuvre d’art ! » Parmi les curiosités touchantes, on remarque le catalogue de l’exposition organisée par Pierre Matisse à New York en 1954 : il comprend une lithographie de Riopelle et un texte de Georges Duthuit dont la traduction est signée Samuel Beckett.
Évidemment, il n’était pas possible d’oublier l’étiquette des bouteilles de Château Mouton Rothschild 1978 réalisée à partir de divers ronds (avec dessins à l’encre, à l’huile…). Plus impressionnantes toutefois par leurs dimensions, l’audace de leur composition, leur couleur et leurs techniques, les affiches constituent les attractions les plus spectaculaires de l’exposition. L’une d’elles datant des années 1970, où figure un majestueux hibou, présente la particularité de provenir d’un travail technique réalisé à la bombe en aérosol. Surprenante découverte puisque l’artiste n’adoptera régulièrement cette technique qu’à partir des années 1980.
Au rythme de quatre à cinq expositions individuelles et de plusieurs expositions de groupe par année, c’est un corpus considérable qu’a rassemblé André Hénault. Il estime que l’exposition Riopelle – Séries graphiques réunit la presque totalité de l’œuvre graphique de Jean-Paul Riopelle. « Une telle entreprise n’aurait pas été possible, reconnaît-il, sans l’omniprésent soutien d’Yseult Riopelle, fille aînée de l’artiste, qui possède un immense lot d’archives et qui, de plus, m’a mis en relation avec des personnalités clés sans lesquelles je n’aurai pas pu avoir accès à des documents essentiels. »
L’exposition Riopelle – Séries graphiques est la première que signe André Hénault à titre de commissaire. Il y a des coups d’essai qui sont des coups de maître.
En accueillant une telle exposition, un établissement public comme Bibliothèque et Archives nationales du Québec ne pouvait trouver meilleur hommage à rendre à la mémoire de Jean-Paul Riopelle dix ans après la disparition du maître.
RIOPELLE – SÉRIES GRAPHIQUES
Œuvres graphiques de Jean-Paul Riopelle
Centre d’archives de Montréal
Salle Gilles-Hocquart
535, avenue Viger Est, Montréal
Commissaire : André Hénault
Du 20 mars au 16 septembre 2012