Admettons-le, musée et art contemporain sont des termes antinomiques. Alors que le premier renvoie à des notions de savoir, de pouvoir, d’histoire et de patrimoine, le second connote l’innovation, la contestation, la recherche et le présentisme. Cette idée n’est cependant pas partagée par beaucoup, car, dès le XIXe siècle (ex. musée du Luxembourg à Paris, Art Institute of Chicago), le musée, témoignant par là d’une volonté de contrôle, a admis l’art contemporain entre ses murs, suivant les impératifs du marché. L’introduction de l’art « vivant » au musée exprimait un désir de l’État, des collectionneurs et des artistes d’inscrire cette production dans une continuité et de lui accorder la plus-value qu’apporte l’institution.

Bien qu’inauguré en 1964, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) relève de cette logique visant à assurer l’accessibilité à la création artistique contemporaine et sa pérennité. Le MAC a établi comme balise pour l’art contemporain l’année 1939, date de la fondation de la Société d’art contemporain sous l’impulsion de John Lyman. C’est dire qu’en 2024, l’institution conserve une collection qui couvre quatre-vingt-cinq ans et davantage. La définition de l’art contemporain varie selon les musées : certains le font remonter à 1950, d’autres à 1960, d’autres encore incluent l’art des vingt-cinq dernières années. La collection antérieure est reléguée vers l’art moderne, dont les limites temporelles sont également variables.

La mission du MAC s’énonce comme suit : « faire connaître, promouvoir, conserver l’art québécois contemporain et assurer une présence de l’art contemporain international par des acquisitions, des expositions et d’autres activités ». La formulation est volontairement large et ambiguë, de manière à tirer parti de toutes occasions qui se présentent. D’ailleurs, chaque direction et chaque équipe de conservation interprète différemment cette mission. Sans orientation définie, le musée se place en mode de réaction plutôt que d’action. La mission ne précise pas le moment qui fonde l’art contemporain, alors que les œuvres de la période 1940 à 2000 représentent un pourcentage significatif de sa collection. L’institution gère un important ensemble d’œuvres d’art moderne, en plus de s’occuper de ce qui appartient en propre à son mandat.

L’application de ce mandat est évolutive et le MAC est contraint de s’adapter aux conjonctures auxquelles il fait face. Par exemple, en septembre 1973, lors de l’acquisition d’un groupe de 75 œuvres de Borduas cédé par la Corporation des musées nationaux du Canada, l’institution annonce son intention de consacrer « une salle du Musée à la présentation de cette collection […]. Les archives personnelles de l’artiste peuvent être consultées à la Bibliothèque […]. »1 Si l’on a pu voir ces présentations encore pendant quelque temps à la suite du déménagement de l’établissement au centre-ville en 1992, celles-ci ont disparu du calendrier et le centre de documentation n’est plus accessible au public depuis plusieurs années. Le manque d’espace, les contraintes de personnel et la recherche de l’équilibre budgétaire ont mené l’institution à interpréter ainsi son mandat à l’égard d’un artiste considéré comme une figure centrale dans l’évolution de l’art contemporain au Québec.

Couverture du catalogue de l’exposition La Collection Borduas (1975). Musée d’art contemporain de Montréal © Musée d’art contemporain de Montréal

Force est de constater qu’en dépit des 8 000 pièces dont il a la charge, le MAC ne dispose pas – et ne disposera pas, même après son agrandissement – des ressources physiques, budgétaires et humaines nécessaires pour remplir sa mission telle qu’elle est largement définie. Face aux défis que posent ces moyens limités, on ne peut que souhaiter que le musée repense ce mandat en des termes plus réalistes, qui fournissent un cap plus précis pour les dirigeants de l’établissement et son public. Cette réflexion s’accompagnerait d’un remaniement de son conseil d’administration, de manière à tenir compte des orientations à définir selon les fonctions de l’institution (par exemple, médiation, éducation, muséologie, évaluation…).

L’offre en art contemporain et actuel est relativement vaste à Montréal. Les maisons de la culture, les centres d’artistes, les galeries universitaires et privées, les événements ponctuels (par exemple, Momenta, Elektra) et les centres d’exposition privés (par exemple, SAT, centre Phi, Arsenal, 1700 La Poste) proposent une programmation variée. Il s’avère que la création contemporaine et actuelle est mieux servie par ces organismes, capables d’élaborer des événements récurrents et des interventions plus spontanées.

Ne pourrait-on pas imaginer que le MAC puisse jouer un rôle fédérateur vis-à-vis de cette offre ? Si le musée acceptait de s’impliquer plus résolument dans l’écosystème de l’art contemporain québécois et montréalais, il en découlerait plusieurs conséquences immédiates. Celle qui paraît la plus évidente se situe sur le plan de la recherche. En effet, les lieux qui présentent l’art contemporain ont principalement une approche monographique. Si elle est thématique, celle-ci est souvent limitée en ce qui concerne le nombre de participants et leurs origines en raison des moyens dont dispose chaque organisme.

On tient souvent pour acquis que la production actuelle, du fait même de son actualité, a automatiquement du sens aux yeux des collectivités où elle est présentée. Or, un approfondissement des thématiques, assorti d’une sélection rigoureuse des artistes et des œuvres, ainsi que d’une adaptation des formes de médiation selon les besoins du public, favoriserait une meilleure appréciation des enjeux de la création contemporaine.

La production actuelle ne requiert pas nécessairement des conditions muséales idéales et uniformes. De nombreuses œuvres, pourvu que l’on assure leur intégrité physique, s’accommodent de conditions environnementales moins strictes que celles des normes présentement définies. Comme l’avait fait le Centre international d’art contemporain avec les Cent jours d’art contemporain, le MAC pourrait, en étroite collaboration avec ses partenaires, utiliser des espaces disponibles dans la ville selon les besoins.

En se libérant de l’obligation d’offrir toutes ses expositions dans le bâtiment principal, le MAC pourrait ainsi mieux présenter et animer sa collection. D’ailleurs, une partie de celle-ci, à caractère plus historique, pourrait être confiée à d’autres musées, selon des termes à définir, afin qu’ils complètent leur propre ensemble d’œuvres. Précision du mandat et implication dans le milieu montréalais et québécois qui partage des objectifs comparables sur le plan du collectionnement et des expositions, voici les deux vœux que je formule pour le MAC. 

1 Musée d’art contemporain de Montréal, « Communiqué de presse. Ouverture de la salle Borduas au Musée d’art contemporain » (7 septembre 1975).