Pour la troisième édition de son programme Artiste en résidence, le Musée McCord a invité Frédéric Lavoie, artiste reconnu du domaine de la vidéo d’art.

Contrairement aux deux artistes précédents, Marie-Claude Bouthiller et Kent Monkman, Frédéric Lavoie offre une inter­prétation de la collection du musée qui s’écarte de la maté­rialité propre à la peinture et à la sculpture. En effet, par le truchement d’une interface, le vidéaste explore des formes de relations nouvelles entre l’image, la parole, le son et l’archive muséale. Médium fluide par excellence, la vidéographie lui permet de construire un récit où les photographies et les artefacts issus de la collection du musée s’érigent en prétexte pour traduire un état du monde, état constitué essentiellement des situations catastrophiques et conflictuelles dont l’homme contemporain ne peut plus se détourner. Frédéric Lavoie prend comme assise des faits anciens qu’il met en résonance avec des événements qui marquent l’actualité du XXIe siècle. Guerres, épidémies, désastres, accidents se perpétuent et alimentent un nouvel imaginaire historique. Telle est la lecture essentielle que l’on peut faire de l’œuvre du vidéaste, qui dès lors fait figure de document résolument politique où se mêlent réalité et fiction.

Un monde en déclin

Le déroulement du récit s’appuie sur un texte de Grégory Lemay. L’auteur met en scène un jeune de la rue devenu gardien d’un musée. Un jour, il surprend dans l’une des salles d’exposition des visiteurs à l’allure suspecte ; il s’agit d’extraterrestres. Ces créatures maléfiques qui ont envahi le musée sont des individus criminels. Dès lors, le gardien devient un résistant, un combattant des forces du mal, et le musée se transforme en un lieu de refuge pour la population. Les assassinats se multiplient et n’épargnent pas l’amie de cœur du jeune gardien. Puis, une mystérieuse maladie (l’extrabola) transmise par les extraterrestres fait augmenter brutalement le nombre de morts. La destruction sévit. Bientôt, le musée et la ville ne sont plus que ruines. L’exil demeure le seul moyen d’échapper à la terreur et à la dévastation. C’est le début de la fin ; à terme, seule la mémoire subsistera.

À travers ce récit de fin du monde, les images et les objets tirés de la collection défilent en grand désordre, sans respecter la chronologie historique. Ils illustrent, à la manière d’une fable, différentes situations dramatiques inspirées par le texte de Grégory Lemay. Les analogies sont donc nombreuses. Par exemple, une étiquette médicinale sur le choléra datant de 1870 sert de référence à la maladie de l’extrabola, mot inventé évidemment inspiré du virus Ebola qui afflige actuellement l’Afrique. La peinture de l’incendie du Parlement de Montréal en 1849 tout comme la photographie montrant l’effondrement de la travée centrale du pont de Québec en 1916 mettent en lumière les catastrophes et les dévastations. D’autres artefacts, tel un pistolet de 1852 ou des soldats miniatures du début du XXe siècle, symbolisent le combat, la guerre. L’ensemble du document visuel propose une réinterprétation de l’histoire par de nombreuses transpositions de faits réels. Il ne s’agit donc pas d’une œuvre documentaire, mais bien d’une création où le spectateur est entraîné dans une intrigue savamment élaborée à partir du détournement d’événements authentiques. La réalité se trouve modifiée, réinventée, pour mieux réfléchir sur notre époque. Tel est, selon nous, l’aspect déterminant de la production de Frédéric Lavoie.

Le passé comme présage du futur

L’œuvre du vidéaste constitue un récit qui défie la logique télévisuelle traditionnelle. Rien n’est linéaire ni prévisible. Filmés sur un fond noir avec une caméra haute résolution, les objets, les affiches, les cartes géographiques ou les photographies défilent selon des mouvements latéraux, d’autres à la manière de pages de livres que l’on feuillette. Pendant qu’une voix hors champ récite le texte sur une musique planante, une lumière fugace fait apparaître les éléments qui se meuvent dans des déplacements successifs. Composée par Simon Bélair, la trame sonore ajoute un effet de mystère et tient le spectateur en haleine jusqu’au dénouement où le protagoniste s’exile dans un lieu si lointain qu’il ne sait plus dans quelle ère il vit. Il porte en lui le souvenir de quelque chose qui a déjà existé, et qui a disparu à la suite des actes maléfiques, non d’extraterrestres, mais d’êtres humains déguisés en extraterrestres. La vidéo de Frédéric Lavoie témoigne d’une réflexion et d’une anticipation qui font écho à la tension planétaire à laquelle nous assistons en ce moment. En ce sens, son œuvre se trouve en phase avec les actes de violence quotidiens marqués par l’horreur, le fanatisme et la destruction. Elle enjoint le spectateur à prendre conscience de la fragilité de la destinée humaine. 

FRÉDÉRIC LAVOIE LE DÉBUT DE LA FIN
Musée McCord, Montréal
Du 12 décembre 2014 au 15 mars 2015