Le sculpteur André Fournelle explique les origines de l’œuvre Des mondes l’habitent et se croisent en lui, créée en 2009.

C’est en 1982, alors qu’il a posé des néons qui symbolisaient un X (Fire in Your Cities) sur la façade d’un édifice, qu’André Fournelle eut recours pour la première fois à ce symbole afin d’illustrer le concept de l’interdit. Par ce geste, il voulait représenter une barrière psychologique et dénoncer, notamment, l’expropriation des locataires de cet immeuble qui était situé sur la rue de Bleury à Montréal et recelait des trésors architecturaux. Peu de temps après la démolition, l’artiste créa un nouveau X, fait de flammes incandescentes cette fois, sur le terrain devenu vacant.

Depuis cette date, la symbolique du X en guise de représentation de l’interdit est récurrente dans sa démarche artistique. « Je trouve que l’on vit dans une société où de plus en plus d’interdits planent et peuvent nous tomber sur la tête à tout moment, telle une épée de Damoclès. Et du point de vue politique, il me semble qu’il y a de plus en plus d’oppression », explique cet émule du peintre Kasimir Malevitch (1878-1935) qui a sculpté, en 1992, L’interdit Damoclèse, une œuvre faite d’acier, de feu, de fleurs et d’ampoules halogènes. Une installation imposante où, à la façon de son maître à penser, André Fournelle reprend certaines des formes fondamentales, comme la croix, le cercle et le carré.

Bien connu pour son utilisation des éléments naturels que sont la terre, l’air et l’eau, le sculpteur de feu qu’est Fournelle voue également une affection particulière au charbon. Un matériau dont l’olfaction lui rappelle les doux souvenirs de la fournaise familiale de son enfance, mais aussi, dit-il, « parce qu’une fois cassée et lavée, cette matière peut devenir éclatante comme des diamants noirs ».

« L’art doit être un statement. S’il n’y a pas de concept derrière une œuvre, ce n’en est pas une », avance le septuagénaire qui est d’avis qu’une œuvre doit pouvoir être expliquée par un texte, même si cela peut parfois déplaire. Il donne en exemple le fameux Carré blanc sur fond blanc de Malevitch qui, sans explication, n’aurait pas de sens.

Cette philosophie de l’art engagé se retrouve ainsi dans Des mondes l’habitent et se croisent en lui, une œuvreque Fournelle a conçue en deux morceaux : un X d’un mètre de diamètre et une croix, du même format, en guise de réceptacle à des éclats de charbon.

L’artiste espère d’ailleurs que la personne qui deviendra titulaire de l’œuvre offerte à Vie des Arts en acquerra également à titre personnel l’autre moitié, c’est-à-dire le X ou la croix. Soulignons que cette dernière n’a aucune connotation religieuse, un concept absent chez Fournelle. « Pour moi, les deux représentent la même chose, mais positionnées différemment. » Lorsque Malevitch est arrivé avec ses trois formes suprématistes (ou fondamentales), il a révolutionné la peinture. C’est l’aboutissement d’une pensée par rapport à ce qui se fait à son époque : les paysages, les portraits, les natures mortes, etc. C’étaient les débuts de l’art conceptuel et de la forme. « Ce qui a permis la transition entre la figuration et l’abstraction », fait valoir celui qui fraya avec Marcelle Ferron et côtoie toujours Armand Vaillancourt, avec qui il partage l’incandescent désir de susciter une réflexion politique sur notre contemporanéité. l

Notes biographiques

Né en Angleterre en 1939, André Fournelle est adopté au Canada à l’âge d’un an. Autodidacte, il fait son apprentissage artistique à travers des lectures, des recherches et des expérimentations diverses. Il commence à exposer des sculptures en 1963. Un ouvrage sur la fonderie expérimentale paraît en 1973 et présente une synthèse de ses travaux. Il fait également partie du groupe EAT (Experiment in Art and Technology) fondé par les artistes américains Robert Rauschenberg et Robert Whitman. Sculpteur et artiste de la performance, Lumière et silence est une de ses œuvres les plus spectaculaires. En 2005, il réalise une performance dans le cadre de l’événement Les Incendiaires au cours de laquelle il fait brûler du charbon coloré sur des carcasses de lit en acier, tandis que des comédiens récitent des noms de sans-abri décédés. En 2015, les Éditions Del Busso publient une importante monographie sur la longue carrière de cet artiste activiste fasciné par le feu.

André Fournelle est représenté par la Galerie du Théâtre Magog — Art contemporain (Magog).