Louis-Pierre Bougie – Le temps suspendu
Nous offrons nos sincères condoléances à la famille et aux amis de l’artiste Louis-Pierre Bougie (1946-2021) décédé le 10 janvier 2021.
Digne représentant, dans les années 80, du renouveau de la figuration québécoise, Louis-Pierre Bougie a marqué l’histoire de l’art au Québec par l’introduction d’une nouvelle subjectivité. Pour lui, il ne s’agit plus d’imiter la réalité, mais de refléter une dimension intérieure de l’être humain en recourant à une narration libre et critique. Cette dialectique a façonné le langage pictural de Louis-Pierre Bougie où les individus évoluent dans des univers intemporels.
Le monotype Feuille 1, exécuté en 2006, met en scène différents personnages dessinés schématiquement. Les corps sont à peine esquissés et les visages ne contiennent aucun détail anatomique. Les silhouettes flottent librement dans un espace sans décor, sans environnement ; ce qui rend impossible toute contextualisation, toute identification du lieu où se déroule l’action. Dans un grand dépouillement scénique, les corps parlent entre eux tout en observant un animal étendu au sommet d’une forme sphérique. Est-il dans un état de sommeil ? Est-il agonisant ou mort ? Énigme…
Dans cette composition, Louis-Pierre Bougie fait coexister le règne végétal par la présence de feuilles et le règne animal dont l’humain fait partie. La représentation de fragments de vie dans un monde en suspension est intrigante. À l’intérieur de l’image, nous ne pouvons identifier ni ciel, ni terre, ni paysage, ni architecture. L’univers matériel s’estompe, se dissout, se raréfie. Le malaise et le vide existentiel sont palpables. L’artiste s’écarte de la stricte réalité des apparences pour mieux évoquer des univers intangibles et sonder l’âme humaine. En ce sens, ce monotype de Louis-Pierre Bougie fait partie intégrante de l’iconographie qu’il a élaborée au cours de sa carrière et qui a fait sa marque. Comme l’a noté le philosophe Michaël Lachance, les élongations et le tourbillonnement des corps chez Bougie agissent comme des tensions de l’être humain vers l’indicible. Les personnages qu’il dessine se confrontent à eux-mêmes par des attitudes et des regards qu’ils transmettent sur le mode de la confidence.
Sur le plan de l’exécution, l’œuvre s’inscrit dans une recherche originale du monotype qu’a développé l’artiste et qui consiste à dessiner préalablement sur le papier des formes principalement anatomiques. Celles-ci sont exécutées à la pierre noire et rehaussées à l’acrylique avant de recevoir l’image de la plaque. L’impression unifie le tout dans une transparence lumineuse. C’est en fréquentant les grands ateliers parisiens de l’estampe, dont Lacourière et Frélaut, que Bougie a perfectionné sa technique. Grâce à ses expériences et à ses rencontres avec des imprimeurs, des typographes et des relieurs, le graveur a intégré de multiples connaissances reliées au domaine de l’estampe, ce qui fait de lui un grand spécialiste en la matière autant ici qu’à l’étranger.
Notes biographiques
Peintre, dessinateur et graveur émérite, Louis-Pierre Bougie a créé depuis plus de quatre décennies un nombre considérable d’œuvres où l’être humain est le principal sujet représenté. Ses créations ont fait l’objet d’importantes publications et se retrouvent dans les collections de tous les grands musées québécois. À l’international, ses réalisations font partie des collections de la Bibliothèque nationale de Paris, de la New York Public Library et de la Newark Public Library.
Pour souligner l’ampleur et la qualité de l’ensemble de son œuvre, Les Éditions de Mévius ont publié en 2013 une imposante monographie sur l’artiste. En 2014, deux importantes expositions lui ont été consacrées ; l’une à la Grande Bibliothèque sur sa production de livres d’artiste et l’autre au Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul sous la forme d’une rétrospective de ses travaux artistiques. Ces deux manifestations d’envergure nationale témoignent de l’apport exceptionnel de Louis-Pierre Bougie dans le domaine de la gravure et de la peinture.