Paul Hardy
La vie en rose
Contrairement à beaucoup d’artistes qui pratiquent aujourd’hui plusieurs disciplines, Paul Hardy se définit comme peintre et se consacre quotidiennement à la peinture. Il pense que la peinture, dont l’histoire s’étend sur des siècles, est toujours un excellent moyen d’expression. Mais que s’agit-il d’exprimer ?
Voilà ce qu’il cherche justement dans chaque tableau. Il interroge la toile et la fait parler en usant de techniques mixtes. Elle propose des réponses aussi abstraites que variées, car la recherche et le questionnement sont ce qui lui importe le plus. Il travaille souvent sur des formats moyens parce qu’ils lui laissent plus de liberté pour l’exploration. Que l’artiste commence avec en tête une idée précise ou non, le tableau va évoluer au fil du temps par couches successives. Il aime expérimenter et utilise pinceaux, couteaux et autres outils. Il joue avec l’accident qu’il intègre dans la composition. L’histoire de la peinture est certes présente dans ses œuvres et l’amateur d’art y reconnaîtra des références à l’expressionnisme abstrait et au symbolisme, mais l’histoire de sa psyché peut s’y lire aussi en filigrane. Originaire des Maritimes, il m’a confié volontiers combien la mer qui change continuellement était à la base de son inspiration.
Paul Hardy a trouvé un pigment rose qu’il n’avait jamais vu auparavant dans un magasin de matériel pour artistes. Une fois dans l’atelier, il a aussitôt eu envie de l’essayer. Il a fait un fond bleu-vert clair qu’il a ensuite presque entièrement recouvert de noir, puis il a répandu au milieu de la toile un nuage de cette poudre magenta. À son tour, le spectateur laisse son œil voyager sur les bords du tableau avant d’entrer dans le cœur du sujet. Les touches jade, couleur complémentaire du fuchsia qui occupe le centre, rappellent les éclats des porcelaines chinoises que l’on appelle céladons. Il appartient à chacun d’aller chercher dans sa mémoire les images que le tableau lui suggère. Il a pour titre Pink Cloud.
Plus je regarde le tableau, plus il entre en résonance avec ma propre sensibilité. Le fond est noir comme le non-lieu d’où nous venons et où nous retournerons à notre mort. Heureusement, on voit parfois la vie en rose, comme dans la célèbre chanson d’Édith Piaf. Lorsque l’on est joyeux, on a l’impression de flotter sur un nuage. Mais celui de Paul Hardy se dresse, vertical. Il paraît se diriger vers moi, telle une promesse de bonheur. Un artiste qui pratique un art abstrait doit prendre ses distances avec la ligne d’horizon, car, en suggérant la réalité du paysage, elle limite la portée de l’œuvre.
En rayant la surface rose avec un balai, Paul Hardy a fait réapparaître le noir qui recouvrait la toile. Les traits les plus épais rappellent les branches d’un arbre ou plutôt de plusieurs arbres. Ce pourrait être des sakura, cerisiers japonais dont la floraison est célébrée comme une fête. Lors de Hanimi, les habitants de Kyoto vont contempler dans les parcs ces arbres ornementaux couverts de fleurs, métaphores de la vie, car elles sont aussi belles qu’éphémères. D’ailleurs, d’autres hachures noires parallèles évoquent la pluie violente qui fera impitoyablement tomber les pétales. L’harmonie avec la nature et l’acceptation de l’impermanence sont des notions fondamentales dans la philosophie bouddhiste.
Le rose de Pink Cloud est bien différent du rouge mêlé de blanc qui a servi à représenter les délicates fleurs de prunus dans les estampes japonaises. Il a l’intensité vibrante du rose indien. Une autre fête se présente alors à mon esprit, celle de Holi, encore appelée « Fête des couleurs », au cours de laquelle les Indiens se jettent joyeusement l’un à l’autre des pigments et en soufflent aussi des nuages qui s’élèvent vers le ciel. Pour les Hindous, le vert est symbole d’harmonie et le rouge de joie et d’amour, comme le rose l’est dans la tradition occidentale. Paul Hardy transpose en images les thèmes majeurs de la poésie lyrique – la vie, la mort, l’amour, la nature – qu’il interprète sur un mode abstrait en utilisant le symbolisme de la couleur. Pink cloud est une ode à la joie, une fête que chacun est invité à célébrer.
Notes biographiques
Né en 1990 à Summerside, Paul Hardy est titulaire d’un baccalauréat en beaux-arts de l’Université de Moncton et d’une maîtrise en beaux-arts de l’Université Concordia. Sa première exposition personnelle intitulée Et ensuite, on recommence a eu lieu en 2014 à la galerie Parisian Laundry. Il a participé à de nombreuses expositions collectives dans les Maritimes ainsi qu’à Montréal et ses œuvres font partie de plusieurs collections privées au Canada. Il a récemment participé au Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul et a fait une résidence à Artscape Gibraltar Point (Toronto Islands). Récipiendaire d’une bourse du CALQ comme artiste émergent, il a été finaliste à la RBC Painting Competition.
Paul Hardy est représenté par la galerie Parisian Laundry (Montréal).