Être devant Archéologie du futur (acropole) de La Perrière M., c’est être devant une carte du ciel.

Ce ciel surplombe une cité ancienne, perdue à jamais et pourtant toujours bruissante de rumeurs, ruinée comme l’Acropole grecque qui lui sert d’inspiration, dévastée comme la Pompéi romaine, abandonnée, en somme, comme toutes ces villes antiques dont la gloire appartient au passé. Face à ce temps enfui, enfoui et révélé à nous dans sa fuite même, nous sommes des enfants éblouis. Des enfants à la longue mémoire : nous observons de nuit un paysage urbain, du haut d’un observatoire – du moins est-ce l’impression que donne le cadre.

Or, lorsque le dessin fut pour la première fois exposé en 2015, il n’avait pas d’encadrement. Il n’en avait pas besoin d’ailleurs, puisqu’il s’insérait dans un schéma narratif tressé à partir de la mythologie, de la psychanalyse et de l’alchimie. Il était un rêve d’Acropole pour l’exposition Archéologie du futur, laquelle poursuivait et complétait La langue des oiseaux (passé) de 2014. Autant dire qu’Archéologie du futur (acropole) était alors perçu en tant qu’élément d’une réflexion complexe.

Arraché à cet environnement, ce paysage reçoit un nouveau cadrage grâce au passe-partout choisi par l’artiste. Parce que sa découpe évoque un observatoire, nous engageant à un jeu d’identification des constellations, il insère le temps humain dans le temps cosmique. Ce passe-partout ramène sans cesse notre regard au cœur d’une cité étagée à la manière d’une pièce montée. Sur le papier noir, le pastel blanc fige une sorte de chantilly. Il amollit les lignes dures des bâtiments, leur confère une dimension romantique, onirique et presque gourmande. Les ruines s’imaginent en parts de gâteaux dont nos dents auraient croqué un bout par ci, un bout par là. On pourrait aussi voir des diamants briller dans l’écrin noir du ciel. Le regard s’aiguise en conséquence : les édifices et les collines semblent taillés pour laisser passer la lumière, rappelant Pierre-onirique (acropole), un fusain et crayon de 2015, où l’Acropole était enfermée au cœur d’une pierre précieuse.

La Perrière M. est de ces artistes qui ne sacrifient pas la culture à la sensation et qui, si elle offre avec générosité une forme de pouvoir à celui qui sait observer, ne veut jamais lui faire oublier le sous-entendu dudit pouvoir : la responsabilité de ce qui fut hier et de ce qui peut être demain.

L’espace délimité d’Archéologie du futur (acropole), de Pierre-onirique et des nombreux mondes-sphères de La Perrière M. n’empêche cependant pas notre rêverie de déborder du cadre. Nous perdons-nous pour autant ? Non. Au contraire, on se retrouve face à soi-même : soi en tant qu’être, devant la galerie de portraits intrigants, souvent féminoïdes, que l’artiste a inventée au fil des ans, et soi avec les autres, quand le mythique fait résonner les pierres, murmurer l’herbe, discuter ensemble la multitude du vivant qui compose l’univers. Et ces ciels, comme chez Kiefer, sont à la fois physiques, matérialisés par les étoiles qui les éclairent, et métaphysiques. Chez l’artiste allemand et l’artiste québécoise, la volonté d’embrasser l’humain est présentée par ses réalisations au cœur d’une Terre qui peut vivre sans lui, mais ne prend un sens qu’à travers son regard.

Rien, dans le dessin précis et minutieux de La Perrière M., ne nous indique qu’il s’agit d’une cité autre qu’antique, qu’une acropole tournée vers le ciel et les dieux. Rien, sinon le titre lui-même, à bien y penser : Archéologie du futur. Emprunté au théoricien Fredric Jameson, il résonne avec cette pensée du XXe siècle qui tenta d’allier les points de vue pour mieux saisir l’essence des choses. Et nous faire comprendre qu’en fin de compte, on ne saisit que ce qui veut bien se laisser saisir, traversés par ce qui nous fonde et nous contextualise. Les grands courants de pensée qui ont fait frémir le XXe siècle ne furent peut-être rien d’autre, au final, qu’un ego enflé, comme la grenouille qui se voulait bœuf, en même temps qu’une leçon d’humilité assénée à coups de pioche, de virus et de kalachnikov.

En débordant ce siècle, en changeant de millénaire, nous souhaitons croire à cet avenir que dessine l’artiste, un avenir qui aurait appris du passé. D’où le fait que La Perrière M. se soit inspirée d’images d’archives du XIXe siècle pour composer son rêve d’Acropole. D’où l’importance de cet observatoire qui fonctionne comme une mise sous cloche, préservant des pans de culture que d’autres font sauter dans la liesse de l’obscurantisme. On relève même une forme d’optimisme dans le travail d’exploration des pierres qu’elle mène depuis son séjour parisien et la rencontre avec l’architecture du vieux continent, en 2014. La Perrière M. est de ces artistes qui ne sacrifient pas la culture à la sensation et qui, si elle offre avec générosité une forme de pouvoir à celui qui sait observer, ne veut jamais lui faire oublier le sous-entendu dudit pouvoir : la responsabilité de ce qui fut hier et de ce qui peut être demain.


Véronique La Perrière M. est représentée par la Galerie D’Este (Montréal).