L’autosuffisance financière : un défi constant pour les musées
Il est clair, et ce, depuis un moment déjà, que les établissements muséaux sont fragiles. Les enjeux de sous-financement sont bien connus, et les répercussions se font sentir dans différents aspects liés à leur mandat : la conservation, la gestion des collections, la recherche, le développement de l’offre et le rayonnement. Depuis trois décennies bientôt, la logique économique néolibérale dicte leur développement. S’ils réussissent à traverser le temps, c’est grâce à leur potentiel d’adaptation aux conditions sociétales et à leur renouvellement ; l’on pourrait presque dire que c’est avec héroïsme que les musées persistent à assurer leur mission et leurs fonctions essentielles, soit la conservation et la diffusion de notre patrimoine. À cela viennent s’ajouter les enjeux liés à l’autosuffisance financière, qui apparaissent désormais prioritaires.
Le musée dit « traditionnel » se transforme peu à peu en une entreprise culturelle qui fonctionne selon des logiques communicationnelles et marchandes. Une quantité incroyable de services sont offerts et de multiples événements se tiennent dans l’optique d’attirer des publics variés qui sont sans cesse submergés par une offre très diversifiée de produits culturels et de loisirs. Les moyens sont nombreux, mais une chose est certaine : les établissements muséaux se transforment face aux contraintes et aux impératifs nouveaux qu’implique leur sous-financement1.
Professionnalisation et modernisation
Depuis les années 1990, la dégradation de la situation économique, résultant entre autres des coupes budgétaires des gouvernements2, entraîne une rationalisation des activités et un redéploiement de la mission des musées. L’esprit des affaires et la culture managériale se sont graduellement installés dans le champ culturel3, faisant émerger de nouveaux modèles de gestion associant culture, tourisme et économie. Rationalisation et recherche d’une autonomie financière apparaissent ainsi comme des leitmotive.
Si de nouveaux musées se sont établis dans le paysage culturel québécois depuis les cinquante dernières années, d’autres ont été rénovés et professionnalisés plus récemment. Des changements s’opèrent également au sein des établissements, notamment avec l’émergence de nouveaux métiers et de nouvelles fonctions telles que l’administration, la diffusion, le développement de projet, l’accueil du public, la commercialisation et la gestion des services. Ainsi, les restrictions budgétaires qui se sont imposées suscitent l’intervention d’un ensemble de départements, dont les fondations des musées qui sont entièrement consacrées à la recherche de financement. Les fondations viennent en cela renforcer l’autonomie financière de l’établissement, et permettent d’assurer une recherche de financement privé, dont les fonds sont, encore aujourd’hui, mis à la disposition du musée pour l’acquisition d’œuvres d’art, la réalisation d’expositions de grande envergure ou encore la mise sur pied de projets innovateurs. Les campagnes de financement qu’avaient l’habitude de déployer les musées se sont alors incorporées aux activités de leur fondation ; la professionnalisation de ce service permettant de minimiser les impacts du déclin du soutien financier public. Dans ce contexte, de nouvelles catégories de donateurs4 voient le jour ainsi que des campagnes de financement majeures axées sur l’action philanthropique, le développement d’activités de commercialisation et la recherche à plein temps de commandites.
Si les musées persistent à multiplier les efforts pour répondre aux enjeux de financement, est-ce parce qu’ils cherchent encore à faire valoir leur nécessité et si tel est le cas, auprès de qui ?
Diversifier l’offre pour diversifier les publics
Stimulés par le besoin d’accroître les revenus autonomes et dans l’optique de favoriser une meilleure accessibilité à l’art, les musées ont renforcé leurs liens avec leur public et proposent une variété d’activités culturelles. Toutefois, la diversification et l’organisation de manifestations temporaires augmentent les besoins financiers qui tentent d’être épongés par les services commerciaux. La réception de ces transformations est positive et se traduit la plupart du temps par un taux de fréquentation à la hausse.
Le succès de l’établissement s’établit, entre autres choses, en fonction des services offerts aux visiteurs, de la conversion de ceux-ci en abonnés, ou du nombre d’entrées annuelles. Comme n’importe quel secteur d’activité économique, la culture se mesure en chiffres ; mais la frontière est mince entre la volonté d’ouverture et d’inclusion – logique fondée sur l’accessibilité à l’art et la démocratisation –, et la logique commerciale. Dans ce dernier cas, le visiteur peut se sentir traité comme un consommateur, ne serait-ce qu’en raison du vocabulaire parfois utilisé et emprunté à la sphère des affaires. Les soirées et les événements ponctuels comme Échappe-toi au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), ou les concerts et les performances des Nocturnes au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) sont des exemples d’activités qui servent à augmenter le volume d’entrées. L’objectif est double : d’une part, la médiatisation de ces événements contribue à la notoriété de l’établissement, et d’autre part, ce type d’offre permet d’aller chercher une grande part du marché.
L’événementiel, entre médiation et image
Des événements sporadiques tels que le jeu d’évasion Échappe-toi au MBAM, créé avec un partenaire privé, permet de rendre l’expérience de visite divertissante. Ce type d’initiative répond à la mission éducative du musée et favorise l’apprentissage par le jeu, considérant aussi que le musée doit être et rester un lieu plaisant. Proche des parcs d’attractions ou de la Disneyfication des établissements, ce type d’événement est critiqué par ceux qui ne voient en ces efforts qu’une apparence de spectacle. Des initiatives telles que Les Nocturnes du MAC, intégrées à la programmation éducative depuis 2007, témoignent également d’une certaine spectacularisation. Ces pratiques sont tout de même acceptées par l’ensemble du milieu muséal, d’une part parce qu’il s’agit d’une manière originale d’être en contact avec l’art et d’autre part parce que l’événementiel est un moyen de communication et de diffusion efficace.
La même réflexion s’impose pour les expositions temporaires, qui semblent parfois se transformer en superproductions. Par exemple, les expositions Pompeii (2016) et Chagall : couleur et musique (2017) ont attiré des nombres records de visiteurs à cause notamment d’investissements massifs dans des campagnes promotionnelles. Selon le Rapport annuel du MBAM de 2016-2017, Pompeii fut l’exposition la plus fréquentée des quinze dernières années ! L’exposition était accompagnée d’une multitude de manifestations et de soirées spéciales misant sur le caractère événementiel pour attirer les publics. Une logique similaire s’appliquait à l’exposition Chagall, qui présentait des performances musicales dans les galeries et une soirée cirque avec DJ. Ces efforts grandissants amènent-ils les musées à négliger d’autres tâches plus routinières que sont la conservation préventive, la recherche, l’inventaire et le catalogage qui servent aux collections permanentes et qui pourraient se trouver délaissées, moins connues et moins exploitées ?
Si les musées persistent à multiplier les efforts pour répondre aux enjeux de financement, est-ce parce qu’ils cherchent encore à faire valoir leur nécessité et si tel est le cas, auprès de qui ? Se questionner sur l’évolution des établissements, leur avenir, et remettre en question les motivations de leurs logiques commerciales, c’est aussi s’interroger sur leur rôle et chercher à comprendre pourquoi ils sont nécessaires à nos sociétés.
(1) Société des musées du Québec (SMQ), Grand Chantier des États généraux : les musées se mobilisent, Montréal, communiqué du 15 septembre 2011, en ligne.
(2) À titre d’exemple, depuis 2007, l’absence d’indexation des subventions persiste. En 2014, le gouvernement du Québec a réduit d’environ trois millions les subventions annuelles accordées aux grands établissements que sont le Musée national des beaux-arts du Québec, le Musée de la civilisation, le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée d’art contemporain de Montréal. En 2017-2018, le budget du Québec ne présentait aucun crédit supplémentaire pour les musées.
(3) A. Landry et B. Schiele, « L’impermanence du musée », Communication et langages, vol. 175, 2013, p. 27-46.
(4) Au Québec, le financement privé des établissements muséaux émane principalement de quatre sources : les contributions provenant de dons et de commandites, celles générées par les fondations et les échanges de services, ainsi que les sommes tirées des budgets de fonctionnement d’organismes privés. Selon les données colligées, ce sont les musées d’art qui recueillent de loin la somme la plus élevée (17,8 M$), soit 55,6 % du financement privé total reçu par les musées. Voir Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ), État des lieux du patrimoine des institutions muséales et des archives. Cahier 3 : Les institutions muséales du Québec, redécouverte d’une réalité complexe, 2007, en ligne.