Éveilleurs de conscience
Si la production, la recherche et la publication d’ouvrages sur la photographie contemporaine québécoise sont nombreuses, son collectionnement au sein des musées demeure néanmoins à développer. En ce sens, l’exposition La photographie d’auteur au Québec — Une collection prend forme au Musée constitue une initiative de premier plan permettant de jeter les bases d’une collection durable au Musée des beaux-arts de Montréal.
Commissariée par Marcel Blouin, la manifestation permet de circonscrire l’une des tendances importantes dans l’histoire de la photographie au Québec, celle dont l’approche documentaire a été le moteur privilégié. Il s’agit d’une photographie d’auteur dont le but est d’investir et d’observer par la série différents environnements et milieux de vie. Bien que la sélection d’œuvres datant des années 1970 soit plus considérable et corresponde à l’âge d’or de la photographie sociale québécoise, d’autres tirages du même type embrassent les années 1980 et 1990. Ce que nous retenons, c’est la manière propre à chaque photographe de traiter de sujets nous renseignant sur l’état de la société et sur certains individus qui la composent. Cette manière d’analyser et d’étudier le réel est intrinsèquement liée à notre historiographie.
Une photographie humaniste
Le dénominateur commun qui unit un ensemble d’œuvres est le regard porté par les photographes sur la condition humaine. Chez Gabor Szilasi, Donigan Cumming, Roger Charbonneau et Claire Beaugrand-Champagne, plusieurs scènes mettent en évidence des personnages photographiés à l’intérieur de leur habitat, lieu intime par excellence. Que voyons-nous ? Des foyers modestes, souvent sombres et démodés, où le mobilier se résume à quelques éléments essentiels. La pauvreté est parfois criante, mais les individus posent fièrement. Les photographes explorent en quelque sorte la face cachée d’une société opulente où les inégalités sociales sont occultées. Le fait de représenter des personnes coupées du reste du monde donne aux œuvres une charge sociale, mais également émotive par l’évocation de sentiments oscillant entre la solitude, le désœuvrement et l’espoir. La position des photographes est indéniablement politique par le choix de leur sujet et la manière dont ils rendent visibles des apparences et des réalités à l’opposé du discours dominant. Les scènes de démolition de Brian Merrett qui figurent dans sa série Autoroute Ville-Marie, tout comme les photographies urbaines de Serge Clément, témoignent d’une dégradation du tissu social et des effets négatifs d’un progrès à sens unique.
Les photographes scrutent les individus et la société, mais également le lieu public, l’environnement communautaire et le milieu de travail. Chez Normand Rajotte, les prises de vue oscillent entre des scènes d’usine, d’intérieur de commerce ou de lieu de loisirs. Elles sont issues d’un territoire précis, celui de la région de Drummondville. Le photographe s’applique à documenter et à décrire différents aspects de la vie de ses habitants, notamment les jeunes. Quant à Clara Gutsche, les clichés de sa série Les couvents nous plongent dans un univers complètement autre ; celui d’une congrégation qui exprime son rapport à la vie et à la spiritualité. Ces photographies explorent les relations interpersonnelles, les rites particuliers qui ponctuent la vie quotidienne et le rapport à la foi des religieuses. Dans un autre registre, Michel Campeau présente différentes situations qui se rapportent à des activités collectives, notamment à la fête. L’auteur indique que les représentations du réel contenues dans sa série Week-end au “Paradis terrestre’’ portent aussi l’empreinte de sa propre interprétation en tant que sujet qui photographie. C’est pourquoi il qualifie sa démarche de réalisme subjectif.
Ce qui fascine également dans cette exposition tient à la diversité et à l’aspect inusité de certains endroits choisis par les photographes pour explorer leur lien au social. Chez Alain Chagnon, la taverne est vue comme un microcosme, un lieu particulier où l’homme ordinaire se dévoile grâce à la complicité du photographe. Quant à Benoit Aquin, il nous plonge encore plus loin dans un monde marginal en optant pour les boîtes de nuit clandestines. Datant des années 1990, sa série Odyssée soulève des questions liées aux notions de morale et de transgression par la présentation de scènes à caractère sexuel que l’on peut qualifier d’atypique ou d’excentrique.
Comme nous le constatons, la photographie documentaire constitue une tendance forte dans la production québécoise. Elle s’érige en un mouvement historique. Cependant, comme le note le commissaire, l’intérêt de certains photographes à défendre des causes sociopolitiques va s’émousser. Plusieurs d’entre eux vont afficher des préoccupations plus individualistes. La tendance autobiographique succédera au courant photographique plus engagé socialement. Apparaissent aussi la photographie conceptuelle et l’installation. Le mérite de l’exposition du Musée des beaux-arts de Montréal réside dans sa volonté de transmettre à la fois une mémoire patrimoniale et l’esprit d’une époque que la photographie en tant que médium artistique, mais aussi sociologique, a su traduire avec puissance et conviction. Son influence est toujours présente, toujours vivante. Il suffit de penser, par exemple, aux différentes œuvres, recueils et documents photographiques produits lors du Printemps érable 2012.
LA PHOTOGRAPHIE D’AUTEUR AU QUÉBEC – UNE COLLECTION PREND FORME AU MUSÉE
Commissaire : Marcel Blouin
Musée des beaux-arts de Montréal
Du 27 août au 10 novembre 2013