Éditorial n°264
L’art des dernières décennies s’appréhende souvent en des termes performatifs, selon ce que les œuvres peuvent obtenir comme effet sur le réel : mais en trame de fond à cet appareillage conceptuel, l’art aura toujours agi selon des contraintes qui sont les siennes, car sa forme, ses mécanismes internes et son esthétique matérialisent nécessairement l’intention de l’artiste.
Dans ce deux cent soixante-quatrième numéro de la revue, nous revenons à notre format qui deviendra le filon de nos intentions éditoriales, avec nos Perspectives, Portraits, Dossier, Lectures et Visites. S’ajoute cette fois la première itération d’une rubrique nouvelle, Chronique, dans laquelle nous offrons l’espace à un même auteur pour décliner en trois temps un thème choisi sur l’art – d’abord dans un article en ces pages, puis dans les numéros 265 et 266 de l’hiver et du printemps prochains. L’accident en arts, ici identifié comme thème par Charles Guilbert et Edward Pérez-González, se décortique autour de trois facettes pour créer des affiliations entre artistes sur plus d’un numéro de la revue.
Cet acte de relier entre elles des pratiques pouvant, à première vue, paraître hétéroclites fait écho à un désir implicite quant à la forme d’une publication trimestrielle, qui est de tracer des trajectoires de lecture vers un art contemporain qui ne se définit pas seulement par son médium ou sa technique d’exécution. La peinture, l’art vidéo, l’installation, la performance, la photographie, le collage numérique, etc., coexistent depuis longtemps comme autant de moyens choisis par les artistes pour faire advenir leur intentionnalité. En effet, les artistes inventent un langage selon ce qu’elles ou qu’ils jugent être le plus pertinent pour leur champ d’action. Françoise Sullivan, que René Viau est allé rencontrer au courant de l’été dernier pour la visite de son exposition, confiait que l’art conceptuel demeurait une pratique très exigeante car l’artiste est aux prises d’abord avec sa pensée et ses idées et qu’elle ou qu’il doit ensuite inventer ses propres outils pour les porter.
En concordance, si nous ne pouvons pas saisir les œuvres contemporaines et actuelles selon des composantes disciplinaires communes, c’est plutôt l’acte de choisir une matière propre à soi qui se remarque comme aspect récurrent des intentions artistiques. Quelques exemples tirés de nos Visites… Chez Takashi Homma, tel qu’en rend compte Lucie Palombi, la photographie s’emploie pour cadrer des points de vue et, dans l’exposition au CCA, ses œuvres sont déployées en des dispositifs construits qui se veulent être des « machines à voir », en référence à la capacité qu’a la photographie d’orienter le regard. Catherine Bodmer, avec cette même discipline, intervient plutôt sur la représentation pour créer une superposition de photographies en semi-transparence. Daniel Roy, qui en commente le corpus, explique que cette technique altère l’expérience visuelle selon une surabondance de formes, de textures et de couleurs, rendant ainsi compte de l’impossibilité de représenter en une image la multitude de perceptions que nous avons des choses ou des lieux. Ou encore, comme le rapporte Jean-Michel Quirion, Amélie Laurence Fortin qui tente de transformer l’énergie autrement perdue dans l’espace de la galerie de l’Écart en éléments perceptibles, tout en dévoilant par le format même de son installation l’envers de l’équipement technique nécessaire à ses dispositifs (câbles, consoles, microphones, accessoires électroniques…). Les matériaux employés dans les œuvres comptent finalement pour beaucoup dans la création contemporaine. Peut-être est-ce une intention, provenant des artistes, qu’il faut lire comme un élan senti de redonner aux idées une substance physique dans l’espace.
Découvrez le contenu du no 264 – automne 2021