L’œuvre existe à la rencontre de sa forme et de son contenu ; elle n’est pas exempte des modes de production de notre société, et reflète parfois les systèmes d’exploitation en place. Elle a cependant le potentiel de générer des savoirs alternatifs qui inspirent d’un point de vue éthique la gestion des ressources matérielles et naturelles.

Le dossier que nous avons regroupé ici est d’envergure, et touche une question brûlante d’actualité : les enjeux environnementaux. Cependant, les perspectives écologiques de l’art présentées en ces pages n’ont pas nécessairement comme sujet la crise climatique ou la nature en tant que telles, mais soulèvent plutôt les réseaux multiples, et parfois contradictoires, qui tissent la trame matérielle de notre société. Considérant la production des œuvres, et dans un effort de synthétiser une question autrement plus complexe, deux attitudes peuvent être remarquées en art actuel : soit on fabrique soi-même les composantes de ses œuvres – l’artiste maniant un savoir-faire qu’elle ou qu’il a dû apprendre –, soit on délègue la fabrication à des personnes plus spécialisées que soi – à l’image de l’industrialisation qui a effectué un transfert de l’expertise de l’humain vers la machine. Ces deux pôles sont tout de même en dialogue et se côtoient la plupart du temps dans l’ensemble de l’œuvre d’un artiste. Malgré les intentions, il n’existe pas réellement de forme idéale de création, qui constituerait une sorte de modèle éthique pour l’écologie, ou mieux, une solution toute prête face aux crises climatiques qui nous guettent. Quelques indices se trouvent toutefois dans l’œuvre, alors qu’il est possible de déceler au moyen d’une analyse matérialiste de l’art une archéologie de notre production qui elle, révèle les angles morts de notre histoire. Autour de ces enjeux, nous avons rencontré les artistes Stéphanie Auger et Sanaz Sohrabi pour les Portraits. La première procède à une fabrication naturelle de pigments à partir d’une proximité des lieux qu’elle visite ou qu’elle habite ; tandis que la seconde révèle dans le régime de l’image les structures du regard qui ont appuyé la montée d’une pétromodernité.

En trame de fond de ce numéro, il y a une approche holistique de l’art, qui reconnaît l’œuvre et l’action humaine comme indivisibles de leur écosystème. Cette vision est partagée par plusieurs autrices et auteurs, et existe parce que l’œuvre fait état, selon Marie Perrault, « d’un microcosme des rapports entre l’humain et la planète qui l’accueille. » (p. 44) Chez l’artiste OSKI, comme le relate Vivardy Boursiquot au sujet l’exposition au Livart, c’est un désir de puiser dans ses racines sans s’emprisonner dans les traditions. En parlant du spiralisme, il invite à considérer dans l’œuvre des manières de cristalliser une réalité qui est toujours en mouvement. En revenant sur la Biennale d’art contemporain autochtone, Camille Bédard fait état d’œuvres qui réconcilient des polarités – artisanat et technologie, tradition et modernité – pour proposer des visions plus nuancées de la réalité contemporaine. Ce refus de distinguer des pôles souvent considérés comme opposés se reflète dans l’exposition Réclamer la terre au Palais de Tokyo, couverte par Madelene Veber à Paris, dont les œuvres invitent à rompre avec l’idée que les humains se différencient de leur environnement.

Enfin, retrouvez nos rubriques Lectures et Visites, dans lesquelles nous revenons sur les expositions de la Biennale d’art de Toronto, d’Henriette Valium à la Maison de la culture Janine-Sutto, des artistes canadiennes modernes à la Vancouver Art Gallery, et de BGL au Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul. Pour clore ce numéro d’automne, Lisa Bouraly nous convie à une réflexion comparative de l’usage des archives dans un contexte d’exposition avec Blackity (Montréal) et Catching Up in the Archive (Amsterdam).

Découvrez le contenu du no 268 – Automne 2022