Dans notre société hypermédiatisée, nous nageons pour la plupart – que nous le voulions ou non – dans un océan culturel mondialisé, à la limite de l’homogénéité, ce que nous pourrions nommer familièrement, ou ironiquement, la culture Netflix. En effet, nous consommons sensiblement la même musique, les mêmes films, les mêmes séries, et nous fréquentons aussi les mêmes médias sociaux… Bien que tous ces repères culturels aient chacun leur valeur, il en résulte malheureusement un appauvrissement de notre propre culture québécoise, qui peine à se démarquer en ligne.

En tant qu’enseignants en arts plastiques, combien de fois réalisons-nous des projets en nous inspirant d’artistes célèbres provenant d’ailleurs, souvent de l’Occident, sans faire de lien avec les artistes québécois ? Ainsi, nous partageons sur les réseaux sociaux d’admirables projets portant sur Monet, Kandinsky ou Warhol. Je ne conteste pas cette approche – je le fais souvent moi-même –, car je trouve essentiel de faire connaître les artistes emblématiques du monde de l’art et de puiser dans la « culture internationale » savante.

Par contre, afin de mettre en valeur l’art québécois tout en jouant véritablement le rôle de passeur culturel que l’on attend des enseignants en arts, j’envisage désormais une approche qui me semble plus riche et que je nomme le « trialogue culturel1 ». Cette approche offre aussi la possibilité d’inclure la culture propre aux jeunes de manière plus signifiante. À ce sujet, le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) avance d’ailleurs que « la culture étant une réalité vivante à laquelle chaque génération apporte sa contribution, l’école prendra appui sur la culture propre aux jeunes pour les amener à s’ouvrir à d’autres dimensions des multiples manifestations de l’activité humaine et à actualiser leur créativité dans tous les domaines » (MELS, 20062).

Guy BoutinSouris Punk (2014)
Huile sur toile, 181 x 122 cm
Courtoisie de l’artiste
Exemple d’une œuvre de culture québécoise, qui relève de la culture immédiate

La culture et ses multiples facettes

La dimension culturelle reste au cœur du renouveau pédagogique au Québec, et elle a été définie dans le document L’intégration de la dimension culturelle à l’école3. On y retrouve deux types de culture : la culture générale et la culture immédiate. « La culture immédiate correspond à l’univers familier de l’élève », lié à son espace médiatique et familial. Selon certaines chercheuses en enseignement des arts, cette culture immédiate de l’élève est également associée à la culture des jeunes et à la culture populaire4. Au sein de leur culture propre, y compris de l’écologie médiatique qu’ils vivent au quotidien, les jeunes accèdent facilement à une culture mondialisée.

La culture générale, quant à elle, « permet à l’élève d’accéder à l’héritage culturel d’ici et d’ailleurs, donc à des réalités du passé. Elle se rapporte aussi aux multiples manifestations actuelles de la culture à travers le monde ». La culture générale fait ainsi référence aux connaissances dites « classiques » et se rapporte davantage à la culture savante. Précisons que lorsque je parle de « culture québécoise », je me réfère surtout aux œuvres et aux pratiques d’artistes québécois, par conséquent à la culture savante d’ici.

Les documents officiels traitent aussi souvent de l’intégration de la dimension culturelle en recourant aux concepts de « culture première » et de « culture seconde »5. La première correspond au réseau de significations familières vécu au quotidien par les acteurs d’une société (par exemple, on grandit en osmose avec une langue maternelle), alors que la culture seconde, c’est-à-dire « l’ensemble des œuvres produites par l’humanité pour se comprendre elle-même », nécessite un effort pour y accéder et l’intégrer. Sous cet angle, on saisit que la culture des jeunes, ou culture immédiate, s’apparente à la culture première et que la culture seconde se rapproche du concept de culture générale.

L’approche que j’ai développée consiste à faire dialoguer les repères culturels d’au moins trois types de cultures : culture des jeunes, culture internationale et culture qué­bécoise.

L’approche du « trialogue culturel »

L’approche que j’ai développée consiste à faire dialoguer les repères culturels d’au moins trois types de cultures : culture des jeunes, culture internationale et culture qué­bécoise. Ces différents repères culturels relèvent à la fois des cultures immédiate et générale (ou première et seconde) et proviennent de différentes origines.

Cette approche a d’ailleurs été exploitée dans le cadre de la création du nouveau mandat du service national du RÉCIT domaine des arts, où je travaille depuis 1999. De façon concrète, cette approche demande de choisir trois repères culturels abordant le même concept, ou la même thématique, comme un sujet de conversation invitant au « trialogue ».

©Gettyimages
Exemple d’une œuvre de culture des jeunes, qui relève de la culture immédiate

Il est à noter qu’il demeure parfois un flou entre ce qui est de l’ordre du repère culturel international et ce qui ne l’est pas, entre un repère de culture générale, et de culture immédiate. Il est donc capital de comprendre qu’il s’agit de nuances évolutives et que rien n’est catégorisé de façon cristallisée. Il s’agit surtout de varier les types de repères culturels avec davantage de fluidité et de richesse.

Selon mon expérience, les trois repères peuvent être présentés simultanément ou de manière successive. Je suggère de débuter par la culture des jeunes afin d’en faire une porte d’entrée stimulante et signifiante, comme le promeut le PFEQ (MELS, 2006). En reconnaissant l’importance de la culture des jeunes auprès d’eux, nous leur accordons une place dans le monde de la création. Ils deviennent parties prenantes, acteurs, artistes ou auteurs dans cet univers créatif qui peut sembler inaccessible ou élitiste. Ils ne sont plus de simples spectateurs passifs.

Je propose par la suite de présenter le repère culturel international pour conclure avec celui issu de la culture québécoise. Conclure avec ce repère québécois, actuel ou historique, aide à ancrer de façon durable ces nouvelles connaissances dans l’esprit des jeunes. Idéalement, nos élèves devraient reconnaître et apprécier cette culture qui est aussi la leur, s’y identifier. Dans un avenir rapproché, ces mêmes élèves deviendront, je le souhaite, des citoyens curieux, critiques, conscients et sensibles à l’art québécois. 

(1) Néologisme que j’ai créé afin de nommer un dialogue entre trois parties.

(2) Gouvernement du Québec (2006). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, premier cycle. Québec : ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

(3) Gouvernement du Québec. (2003). L’intégration de la dimension culturelle à l’école. Québec : ministère de l’Éducation.

(4) Pour en savoir plus sur les différents types de culture, voir des auteures telles que Christine Faucher (2005, 2012) et Monique Richard (2013, 2018).

(5) S’appuyant sur les écrits de Fernand Dumont, Clermont Gauthier définit ainsi la culture première : celle-ci renvoie « à l’ensemble des caractéristiques du mode de vie d’une société ou d’une communauté d’acteurs, au réseau de significations familières dans lequel ils sont enracinés et qu’ils partagent au quotidien » (2001, p. 24). La culture seconde, pour sa part, envisage la culture comme une « distanciation » face à la culture première. La culture seconde correspond « à l’ensemble des œuvres produites par l’humanité pour se comprendre elles-mêmes ». Elle est notamment nourrie par les disciplines scientifiques, littéraires et artistiques.