Originaire de Montréal (1970), Ivan Markovic fait figure de nouveau venu sur la scène artistique. Sa première exposition personnelle sera présentée à la Galerie d’Este. Diplômé de l’Université Concordia (1994) et passionné d’histoire de l’art, il emprunte une démarche atypique dans le contexte de l’art actuel : il s’installe à Madrid dans un appartement familial, proche du Musée du Prado et de ses artistes préférés (El Greco, Velasquez et Goya) afin d’y mener une carrière de peintre figuratif. Après avoir obtenu une maîtrise en arts visuels à l’Université de Leeds (Grande-Bretagne) en 1997, il retourne à Madrid où il partage son temps entre la création artistique et l’enseignement jusqu’en 2010, année de son retour dans sa ville natale.

Un virtuose du réalisme

Markovic occupe une place un peu à part dans le milieu de l’art montréalais. Au cours de son séjour en Espagne, il développe un intérêt marqué pour la sculpture. En 2001, il réalise d’abord quelques bas-reliefs en argile. Vient ensuite le modelage de figures verticales en ronde-bosse. Face à ces pièces visibles de tous les points de vue, il dit avoir éprouvé une sensation unique qui le confirme dans son ambition de travailler en trois dimensions. L’année suivante, par un heureux hasard, il produit sa première sculpture en papier : une rose. Surpris par le potentiel de ce matériau inusité, fasciné à la fois par sa grande malléabilité et sa fragilité, il délaisse complètement la peinture pour se consacrer exclusivement à la sculpture « en papier », qu’il traite comme de l’argile. Ce qui lui permet de façonner ses figures au moyen du seul modelage à mains libres.

Sur une armature composée de fils de fer et de petits tubes souples en cuivre qui donne, dès le départ, la posture du personnage, l’artiste accumule, par couches successives, des feuilles de papier enduites de colle blanche tout usage. Travailler rapidement pendant que le papier est humide est indispensable à la réussite de l’œuvre. Sur une masse de papier compacte, Markovic ébauche d’abord le corps. Par la suite, les plis des vêtements ainsi que les accessoires sont travaillés directement sur le personnage. Au terme du processus, il s’attache au rendu des moindres détails. Les expressions que reflètent les visages sont alors finalisées, parfois à l’aide d’un simple tournevis. Lors du séchage, la colle assure la rigidité de l’œuvre. Pour obtenir des contrastes de texture, l’artiste utilise différents types de papier : simple papier de bloc à dessin, papier de riz, papier de fabrication artisanale ou encore du carton mince. Enfin, la taille des œuvres, entre 30 et 40 cm de haut, peut rappeler celles des « bozzetti » dont les sculpteurs de la Renaissance se servaient comme maquettes préparatoires pour des sculptures monumentales. Au contraire, Markovic choisit de privilégier ce format et d’en tirer le maximum d’effets : bien que figés, ses personnages réussissent à investir l’espace au point de donner l’illusion du mouvement. On pense ici plus à Giacometti qu’à George Segal, avec qui il partage pourtant une préoccu­pation pour le versant tragique de la banalité du quotidien.

Compassion

Dès ses débuts à Madrid, Markovic est sensible à la vie des marginaux : mendiants, musiciens ambulants, clochards. Depuis son retour à Montréal, il est profondément touché par la présence, en forte augmentation, des « sans domicile fixe » (SDF), ces nouveaux sans-abri qui se retrouvent dans la rue, dépossédés de tout. La récurrence de ce phénomène qui confère une sorte d’absence de statut aux individus dans les métropoles occidentales est un sujet qui mérite, selon lui, le regard attentif d’un sculpteur, autant que celui d’un photographe ou d’un cinéaste.

Il y a une sorte de pudeur dans l’approche de Markovic, qui marque un grand respect pour ces personnes dont l’isolement est souvent involontaire. S’interdire le gigantisme sculptural dans la présentation de l’œuvre lui permet d’éviter la « mise en scène glorieuse » d’un phénomène social dévalorisant pour l’individu. L’artiste travaille à une échelle intimiste qui, non seulement ne confronte pas le spectateur, comme le feraient les sculptures à l’échelle humaine, mais qui l’invite à entrer avec délicatesse dans un espace de proximité avec la solitude. Markovic s’installe discrètement dans un parc occupé par des SDF. Il remplit des carnets de dessins à l’insu de ses modèles, qu’il souhaite saisir au naturel. Il étudie soigneusement leurs attitudes et tente d’enregistrer le « langage corporel » de chacun d’eux, en captant les petits gestes qui trahissent leur désillusion. Et, sur leurs visages, il donne à lire la résignation de ceux qui sont sans espoir d’échapper à leur sort. Réaliser une telle transposition artistique de sujets qui dérangent évoque l’audace d’un Goya face aux crises de la société de son époque. 

IVAN MARKOVIC VARIATIONS SUR L’ISOLEMENT
Galerie D’Este, Montréal
Du 7 au 24 mars 2013