Roger Ballen – Prétextes à explorer les recoins de l’âme

Pour Roger Ballen, la photo est prétexte à explorer les recoins de l’âme, une façon de nous emmener vers « un lieu sombre, étrange et ambigu en même temps que comique. (…) Un lieu, écrit-il, que chacun peut identifier tout en étant dans l’impossibilité de le situer clairement ».
Avec comme tête d’affiche ce photographe reconnu de par le monde, l’exposition de l’Arsenal se voulait le gros morceau de l’édition 2011 du Mois de la Photo à Montréal. Présentant une partie de la série Asylum (2004-2010), les organisateurs y ont orchestré avec bonheur la rencontre entre l’appétit du public et ce photographe de renom.
Une douzaine de photographies en noir et blanc marquées de puissants contrastes typiques de Ballen étaient simplement épinglées sur un mur peint en gris. Ce gris soulignait la richesse des tirages. L’ensemble pourtant n’était guère valorisé par un éclairage direct au néon écrasant et par l’accrochage général sur des cimaises démontables étriquées dans un espace dont la hauteur sous plafond est imposante. Nous sommes loin de la mise en forme raffinée que j’avais pu apprécier à la Georges Eastman House de Rochester lors de l’exposition Roger Ballen : Photographs 1982-2009 (24 février – 6 juin 2010).
Sud-Africain d’origine américaine, Ballen, né en 1950, a une formation de géologue. Il dépeint des personnages marginaux, « petits blancs » ou noirs migrants. Ces laissés-pour-compte, l’artiste les a croisés dans des coins perdus du territoire sud-africain qu’il a arpentés à l’occasion de ses opérations de prospection. Les images qu’il en a tirées tiennent du tour de force tant elles apparaissent à la fois comme des commentaires sociaux implacables et des études psychologiques percutantes. Mais, à mesure qu’elle se déploie, son œuvre dépasse peu à peu le point de vue documentaire adopté à ses débuts. Si Ballen se réfère toujours aux codes de la photo documentaire, ses saynètes font dorénavant douter de la véracité de ce qui est capté. Pourtant, à travers son théâtre d’ombre, passe quelque chose d’essentiel et en forte correspondance avec ce que vivent ses « acteurs ».
Devant ces photos, on songe aussi aux univers picturaux de Jean Dubuffet, Francis Bacon ou Cy Twombly tant elles fourmillent de références plastiques. En fait, le photographe fait intervenir ses modèles. Il leur demande de l’aider à modifier le cadre même où ils sont photographiés par leurs propres dessins et peintures, leurs accessoires, leurs interventions. Grâce à ces mises en scène, Ballen réussit à capturer les qualités éclairantes propres aux visions, aux sensations et aux gestes qu’il restitue.
Identiques, ses formats carrés sont constitués d’une succession de plans évoquant des aplats picturaux. Agissant comme des secousses concentriques au graphisme nerveux, du fil électrique, du fil de fer, des cordes et des ficelles y composent des essaims qui tourbillonnent ou des courbes qui serpentent en méandres à travers les images. Ces réseaux, voire ces grillages, guident le spectateur vers les protagonistes de la photo ou semblent les enfermer, comme dans une cage. Le réseau est appuyé par des graffitis ou des traits bruts. Perdus dans ces écheveaux, les personnages, le plus souvent accompagnés d’oiseaux ou d’animaux, détournent leur visage en se présentant couchés. Ailleurs, ils se cachent derrière des boîtes ou un sac. Dans ces tracés saisissants, une tension opère entre instant fugace et vision tragique. Les repères chavirent. L’espace réel se transforme en un monde incantatoire.
ROGER BALLEN ASYLUM
L’Arsenal
2020, rue William, Montréal
Tél. : 514 931-9978
Le Mois de la Photo à Montréal
Du 8 septembre au 9 octobre 2011