Claire Beaugrand-Champagne. L’intimité, en toute simplicité
Les essais photographiques de Claire Beaugrand-Champagne constituent un remarquable portrait de la société québécoise des quarante dernières années ; ils permettent d’en suivre l’évolution.
Claire Beaugrand-Champagne n’a jamais cessé de photographier les gens qui l’entourent dans leur vie quotidienne. Comme le souligne Hélène Samson, conservatrice des archives photographiques Notman, au Musée McCord, et commissaire de l’exposition Émouvante vérité, l’artiste place la personne au centre de son œuvre et son talent absolument unique transmet l’émotion de la rencontre.
Munie d’un appareil assez simple, un Leica ou un Reflex 35 mm, sans trépied ni éclairage, ce qui facilite l’approche, l’artiste va au-devant des gens, sans préjugé ; elle prend le temps qu’il faut pour établir un climat de confiance avant de les photographier. Demeurée proche du journalisme, elle s’enquiert de leur vie, découvrant chez des personnes « ordinaires » des chemins parfois surprenants, voire tragiques ; elle pénètre dans leur intimité, dans les lieux où ils vivent, toujours avec respect et délicatesse, identifiant chacun de ses sujets. Caractéristiques du style documentaire, les prises de vue sont frontales et concentrent le regard du spectateur vers le ou les personnages dont Claire Beaugrand- Champagne exprime si bien la singularité par sa connaissance du langage corporel, ainsi que par sa capacité à capter l’instant décisif qui donne à l’œuvre sa richesse et son intensité.
L’éclairage ambiant non dramatisé dirige la lumière aussi bien sur le fond que sur le premier plan. Si elle est soucieuse de la composition, la photographe ne s’y attarde cependant pas trop, accordant la priorité au sujet. Elle développe elle-même ses tirages en noir et blanc, en chambre noire, utilise des formats relativement petits, proches de ceux des années 1970, et écrit le titre et la date de l’œuvre avant de la signer.
L’exposition se déroule de façon chronologique, des premières œuvres de l’artiste jusqu’aux réalisations récentes. Elle est divisée par projets de dix à quinze photos, à l’exception d’un projet en cours, Les gens de Montréal, qui en comprend vingt-quatre. Le premier dossier, Disraëli, Une expérience humaine en photographie (1972), est celui où l’on découvre le travail tout à fait caractéristique du style du Groupe d’action photographique des années 1970. Claire Beaugrand-Champagne avait passé un été à Disraeli, village des Cantons de l’Est, pour y illustrer ses habitants, à une période où le Québec se modernisait de plus en plus rapidement, avec en toile de fond la confrontation entre les valeurs des citadins et celles du monde rural.
Le sujet Les personnes âgées (1975-1978) montre le quotidien des résidents dans un foyer. Il est suivi du dossier Le Jour (1975-1976), avec des photos d’événements et de manifestations divers, puis par celui de L’Armée (1984) pour lequel la photographe – qui avait reçu une bourse du ministère des Affaires culturelles – avait suivi, à l’École de Recrues des Forces canadiennes, l’entraînement des stagiaires, en particulier celui des recrues féminines. Une autre série, Petits projets (1971-2008), réunit des portraits de personnalités ou d’inconnus, eux aussi identifiés. Toutes ces photos ont été prises au Québec, à l’exception de quelques petits tirages extraits de la série Thien et Hung (1980-1991), sur des familles vietnamiennes que la photographe avait rencontrées lors d’un séjour de deux mois en Thaïlande pour illustrer les camps de réfugiés, et qu’elle avait revues après leur installation à Montréal.
Quelques photos en couleurs – des œuvres récentes – figurent dans l’exposition, mais elles sont l’exception, la photographe ayant toujours favorisé le noir et blanc.
L’ensemble des œuvres de l’exposition provient de la collection de l’artiste, en dehors de la série sur les familles vietnamiennes qui font partie de la collection du Musée McCord.
Claire Beaugrand-Champagne occupe une place à part parmi les photographes documentaires. Dans les années 1970, une même vision était partagée par Michel Campeau, Serge Laurin, Roger Charbonneau, Alain Pratte, Serge Clément, Alain Chagnon, Normand Rajotte, Gabor Szilasi et Pierre Gaudard, parmi d’autres. Si, par la suite, plusieurs d’entre eux ont suivi un chemin différent, Claire Beaugrand-Champagne est demeurée fidèle au courant du photojournalisme et à son choix de travailler par projet. Elle n’a connu ni temps d’arrêt ni changement d’orientation et poursuit toujours sa démarche qu’elle continue d’approfondir. Pour elle, les photos doivent être porteuses de sens et parler des rencontres dont elles témoignent.
Depuis peu, la photographe a entrepris un projet, comme une sorte d’aboutissement d’une réflexion qui a toujours été présente dans son travail. Ce projet, Les gens de Montréal, fait suite aux Gens de mon quartier, série publiée aux Éditions Libre Expression en 2004. Il a été entrepris dans le même esprit d’approche amicale, avec le désir de découvrir les individus et de les connaître.
CLAIRE BEAUGRAND-CHAMPAGNE ÉMOUVANTE VÉRITÉ – PHOTOGRAPHIES DE 1970 À 2013
Musée McCord, Montréal
Du 5 décembre 2013 au 13 avril 2014