À l’orée de Griffintown, deux institutions témoignent de l’esprit précurseur de leurs fondateurs, qui ont décelé les premiers le potentiel de ce secteur longtemps négligé, voire méprisé, de la ville et du patrimoine industriel urbain. Véritables pionnières de la revitalisation du sud-ouest de l’île de Montréal, elles s’y installèrent bien avant qu’un vent de développement, souhaité et encouragé par les élus municipaux, ne jette les bases de la renaissance de ce quartier. Elles ont eu le flair de dénicher des architectures incomparables, uniques et hautement propices à la mise en scène de l’art contemporain dont leurs murs, porteurs d’histoire, sont devenus l’écrin. Elles y ont élu domicile à une époque où il était possible, même pour un organisme à but non lucratif, d’acquérir de beaux et vastes espaces au cœur de quelques-uns des plus anciens faubourgs ouvriers de Ville-Marie, à un jet de pierre du canal Lachine. Chacune fêtera bientôt un anniversaire (10 ans en 2015 pour Parisian Laundry ; 20 cette année pour la première adresse, rue Prince, de l’établissement qui s’appelait alors Quartier Éphémère) avec à leur tête la même direction visionnaire depuis les tout débuts : Jeanie Riddle pour Parisian Laundry, Caroline Andrieux pour la Fonderie Darling.

Ancien faubourg Sainte-Anne

D’abord sise au 16 de la rue Prince avant de prendre racine rue Ottawa, la Fonderie Darling – du nom de la compagnie de fonte métallique qui occupait jadis ce lieu – constitue un lieu à nul autre pareil dans son quartier, et même dans la ville. Centre d’arts visuels fondé et dirigé par l’ONBL Quartier Éphémère, elle s’est donné comme vocation sociale et communautaire de soutenir la création, la production et la diffusion de l’art actuel, incluant un fort volet d’art in situ.

La Fonderie Darling est une institution publique et non privée à vocation commerciale comme la plupart des lieux culturels du secteur qui ont fleuri au cours des récentes années. Elle propose des ateliers d’artistes, un lieu de résidence accueillant des Montréalais de même que des artistes étrangers (quatre espaces sur douze sont réservés à des résidences d’artistes étrangers), et symétriquement des partenariats permettant d’obtenir des résidences d’artistes québécois à Paris et Marseille. De plus, la Fonderie Darling met à la disposition des artistes un vaste espace de diffusion et d’exposition. Son dynamisme se traduit par un feu roulant d’activités, œuvres in situ, expositions (par dépôts de propositions, qui sont toutes étudiées par un comité d’experts renouvelé annuellement), collaborations avec divers organismes du Québec et d’ailleurs. Satellite de la BNLMTL (Biennale de Montréal), la Fonderie a accueilli dans sa grande salle une œuvre de l’artiste conceptuel américain Lawrence Weiner intitulée AN ABRIDGEMENT OF AN ABUTMENT TO ON NEAR OR ABOUT THE ARTIC CIRCLE et une vidéo de l’artiste chinois émergent Li Ran (Before indulgence, after freedom). De plus, la Fonderie Darling est une fidèle partenaire du Mois de la Photo1. On pouvait aussi découvrir, dans la petite salle adjacente à la salle principale, une installation de Karen Kraven intitulée Razzle Dazzle Sis Boom Bah, sur le thème des stratégies de séduction et de camouflage. Kraven, représentée par Parisian Laundry, a connu un franc succès à la plus récente Foire internationale d’art contemporain de Toronto où l’une de ses œuvres a été acquise par le Musée des beaux-arts de l’Ontario. À l’initiative de la Fonderie Darling, Razzle Dazzle Sis Boom Bah sera présentée à l’Institute of Contemporary Art du Maine College of Art, à Portland, Oregon, en 2015.

On pourrait reprocher à la Fonderie Darling une programmation un peu chaotique en terme qualitatif, mais ce serait là ne pas saisir la nature même de son mandat premier : diffuser un art en train de se faire (parfois intra-muros), un art émergent. En prenant des risques, dans sa programmation autant que dans le choix de ses artistes en résidence/atelier, elle s’expose de facto à ces fluctuations et l’on ne saurait lui en tenir rigueur ; les moments de pure grâce et d’heureuse découverte qu’elle a procurés, au fil des ans, à l’amateur d’un art ancré dans son temps compensent largement ces petites errances.

Du côté de Saint-Henri

Quelques pâtés de maisons plus à l’ouest, voici Parisian Laundry. L’établissement a ouvert ses portes en 2005, rue Saint-Antoine, dans l’enceinte qu’avait occupée un nettoyeur industriel. Au fil des ans, sa directrice, Jeanie Riddle, est parvenue à animer ce lieu et à y attirer des artistes séduits par l’immense salle du rez-de-chaussée (15 000 pieds carrés) éminemment propice aux manifestations les plus diverses de l’art contemporain. Un second espace, plus restreint et intime, affectueusement désigné comme The Bunker, se déploie dans son entresol.

D’emblée, la vocation de Parisian Laundry l’a inscrite dans le réseau nord-américain des galeries commerciales d’art actuel ayant investi l’architecture industrielle des anciens quartiers ouvriers, comme on en retrouve à SOHO (New York), Culver City (Los Angeles) ou SOMA (San Francisco). Fort d’un réseau bien chevillé, Parisian Laundry affirme un parti pris « anti-White Cube ». La matière présente dans ses salles riches de textures (bois, ciment, tuyaux, fonte de métal, etc.) procure un caractère unique à ce lieu qui a su fidéliser des artistes renommés des domaines de la peinture, de la sculpture et de l’installation in situ. Parisian Laundry compte à son palmarès des expositions d’envergure autant que des projets satellites temporaires réalisés à Berlin, Toronto et New York. Active dans les nombreuses foires internationales, elle représente une quinzaine d’artistes canadiens dont les plus célèbres sont sans contredit BGL et Valérie Blass.

FONDERIE DARLING, Montréal
Exposition à venir : CHIH-CHIEN WANG ACT OF FORGETTING
Du 4 février au 25 mai 2015

PARISIAN LAUNDRY, Montréal
Artistes représentés : Jaime Angelopoulos, David Armstrong Six, Dean Baldwin, BGL, Valérie Blass, Alexandre David, Cynthia Girard, Paul Hardy, Karen Kraven, Fabienne Lasserre, Rick Leong, Luc Paradis, Celia Perrin Sidarous, Justin Stephens, Janet Werner