Depuis plus de vingt ans, Cynthia Girard-Renard explore à la fois l’écriture, la sculpture, la peinture, la performance et l’installation.

Dans le secteur de la littérature, poète et romancière, elle a publié sept ouvrages dont le dernier est un roman qui s’intitule Le Renard Vulve1. Dans l’exposition Nos maîtres les fous, une suite de peintures récentes, elle intègre certaines citations tirées de son roman. Ainsi des glissements s’effectuent d’une forme d’art à une autre sans que le visiteur ne le sache toujours. D’ailleurs, Girard-Renard s’inspire elle-même des caricatures et illustrations de Jean-Jacques Grandville, artiste français du XIXe siècle, célèbre pour ses personnages à têtes d’animaux que l’on retrouve notamment dans Métamorphoses du jour, une série de soixante-dix scènes qu’il publia en 1828-1829.

Mais Cynthia Girard-Renard ne se limite pas aux représentations d’êtres hybrides même si ce procédé lui donne une liberté d’expression peu commune. Elle réalise des œuvres dont les qualités formelles défient la logique classique du rapport entre le fond et la forme. Cette particularité oblige le visiteur à regarder l’arrière-plan du tableau tout en s’interrogeant sur le sens des textes ou de la représentation qui figure à l’avant-plan. Anne-Marie St-Jean Aubre, commissaire de l’exposition, précise qu’un mouvement de « push and pull » accentue l’hybridité même de la peinture2.

Outre certains textes qui proposent une interprétation de l’iconographie, l’ensemble de ce qui se passe dans chacune des peintures de grand format (275 x 180 cm), s’adresse à tout un chacun. Car, en plus des dix peintures judicieusement accrochées sur des murs aux couleurs pastel, Girard présente des petites sculptures étranges dont l’une est sonore. Si le son a pour effet de créer une bulle ou d’accompagner le visiteur dans sa déambulation, la voix de l’artiste et les mots qu’elle récite ont une fonction critique essentielle à la compréhension de l’ensemble de son travail. En effet, la mort, le temps qui passe, la beauté ignorée, l’au-delà et la futilité de la course aux capitaux sont des thèmes qui font de Cynthia Girard- Renard une artiste politique. Par l’humour et la satire, le visiteur comprend qu’il est interpellé et incité à agir au sein d’une société susceptible de changer. La stratégie de l’artiste fait mouche tout en évitant de véhiculer des accusations explicites, c’est d’elle-même dont parle Girard-Renard, du rôle des artistes et des poètes. Elle joue la carte du doute avec son regard sur l’environnement. Elle suggère même avec humour qu’elle pourrait être paranoïaque ou schizophrène tant son point de vue sonne l’alerte. Bref, l’ensemble de la bande sonore est un poème, un appel à l’éveil.

Paradoxalement, l’exposition se veut joyeuse tant par la représentation des personnages qui évoquent le monde de l’enfance que par le choix de l’installation du centre de la salle qui rappelle un manège. « Cette imagerie vient parfois de l’enfance de l’artiste, des livres qu’elle lisait. Elle s’y intéresse parce que leurs histoires jouent un rôle dans notre éducation, marquent souvent l’imaginaire, et véhiculent des savoirs et des prescriptions quant à nos comportements qui nous façonnent parfois plus que nous le pensons », précise Anne-Marie St-Jean Aubre.

À aucun moment de la visite, une hiérarchie des formes d’art est sentie. Chaque élément comporte son effet dans un ensemble d’une cohérence judicieuse. En fait, plus qu’une exposition, et c’est bien là le génie de Girard-Renard, le visiteur pénètre dans une immense installation où les animaux hybrides font la leçon aux humains. Espace privilégié pour l’enseignement aux jeunes, Nos maîtres les fous possède tellement de niveaux d’interprétation que les publics de tous âges peuvent s’en délecter. Chacun apprend à apprécier la déroute pour mieux fortifier ses positions nouvelles. À travers l’ensemble de l’écriture de l’artiste, on sent d’ailleurs transparaître l’amour du public, le désir de dialoguer avec le visiteur afin de partager la singularité de son univers. À deux pas du merveilleux, cette installation est comme un rêve / cauchemar que les adultes autant que les enfants, peuvent avoir. Ce n’est donc pas par hasard que Jean-Jacques Grandville est mentionné comme un possible grand-père du surréalisme. Cynthia Girard-Renard a pertinemment choisi de s’en inspirer.

Chaque tableau présente une trame narrative ouverte mais nette. Des pieuvres lancent des grenades, tirent au pistolet, et évoquent le climat de guerre qui sévit actuellement sur terre avec une touche d’humour. Plus loin, un personnage arbore des plumes et semble habillé d’un vêtement amérindien qui rappelle peut-être que la réconci­liation avec les autochtones fait partie des objectifs politiques du gouvernement actuel. Pour critiquer la consommation, un troisième tableau représente un personnage, loup ou chien, vêtu de tissus ornés de motifs somptueux où l’écusson « Hermès » est visible. Cynthia Girard-Renard s’attaque ensuite aux canons de beauté et à la tyrannie de la mode. C’est dire aussi combien cette artiste tire parti de la vie en général, de sa vie personnelle en particulier et des événements qui émaillent l’actualité.

Enfin, sur le mode narquois, elle se moque des mythes qui accordent aux blondes leurs succès en amour.

(1) Le Renard Vulve, Satan Narval, texte et dessin de Cynthia Girard-Renard, 2017.

(2) Toutes les citations sont de la commissaire de l’exposition Anne-Marie St-Jean Aubre. Les propos ont été recueillis le 7 novembre 2017 lors d’une entrevue avec celle-ci au Musée d’art de Joliette.

Cynthia Girard-Renard Nos maîtres les fous
Commissaire : Anne-Marie St-Jean Aubre
Musée d’art de Joliette 

Du 7 octobre 2017 au 7 janvier 2018