Louis Perreault, Vis-à-vis
(Montréal : Les Éditions du Renard, 2024, 96 p., photographies, textes)

Élégance. On aperçoit immédiatement cette qualité esthétique lorsqu’on feuillette les ouvrages des Éditions du Renard. Fondée en 2012 par le photographe Louis Perreault et spécialisée dans les livres photographiques, cette modeste maison d’édition — aujourd’hui codirigée avec Jean-François Hamelin — propose des essais photographiques d’artistes québécois·e·s. La ligne éditoriale met de l’avant le processus narratif des images, qui sont souvent accompagnées de textes. Parmi les photographes dont les ouvrages figurent au catalogue, mentionnons Jessica Auer, Charles-Frédérick Ouellet, Kate Hutchinson, Alexis Desgagnés ou encore Bertrand Carrière et, bien sûr, Louis Perreault.

De la fabrication de ses premiers cahiers reliés qui ont constitué les fondements des Éditions du Renard (Ruissellement et Ces oiseaux noirs en 2012), Louis Perreault a conservé une démarche artisanale : le photographe, également auteur, participe à la mise en page de ses publications quand il ne conceptualise pas lui-même, entièrement, leur graphisme, faisant de leur matérialité un véritable prolongement de sa pratique artistique. L’artiste-éditeur a conçu lui-même son dernier livre, Vis-à-vis (2024), d’un bout à l’autre, nous offrant une plongée introspective phototextuelle dans un environnement aussi universel que personnel.


Pour peu que l’on soit sensible au toucher et au visuel d’une couverture — première rencontre avec un livre —, l’invitation à la lecture est ici immédiate. Avec sa toile noir profond ornée de branchages dorés, où les gravures du titre de l’ouvrage et du nom de l’auteur ont été finement dissimulées, Vis-à-vis ne laisse pas indifférent·e. Dès les premières pages, nous devinons un rendez-vous avec la nature : Louis Perreault y mène un entretien avec celle qui l’inspire, le défie ou lui sert de refuge. Par cette traversée photographique entre réel et fiction conduite au gré des saisons, il tente de traduire son rapport, en même temps tangible et intangible, au territoire, au temps, à ce qui a été et à ce qui n’est plus, au devenir et au souvenir ; c’est-à-dire à la trace de l’individu de passage chez la majestueuse mère Nature. Entre confidences et états de conscience, le photographe nous invite à le suivre dans cette « flânerie » réflexive tantôt symbiotique, tantôt intrusive.

Les images dialoguent, suivant la mouvance et les actes performatifs de composantes endémiques : un relief de pierres polies par l’eau de la rivière ou par les intempéries ; un entrelacement de branches et de racines fusionnées, semble-t-il, pour l’éternité ; un mouvement de glaise prêt à enregistrer une empreinte du vivant ; des restants d’os et de squelettes, réminiscences de vies animales que la nature a rappelées à elle. Les éléments s’unissent un temps pour former des tableaux éphémères, peut-être prémonitoires, avant d’opérer de nouvelles transformations, à l’instar d’une plante enveloppée d’une toile d’araignée, tel un linceul. Les matières se confondent parfois tandis que l’environnement crée ses propres sculptures. À chacun·e, selon ses convictions, d’y entrevoir un symbole ou un signe.


Vis-à-vis (r)éveille les sens. Après le toucher sollicité au fil de ses pages cartonnées, les souvenirs olfactifs se ravivent et les relents d’humidité créés par la mousse des sous-bois redeviennent familiers. Des filtres naturels — fumée ou brume ? —, se jouant des transparences confuses à l’œil qui ont inspiré tant de photographes, servent ici les mises en scène allégoriques des paysages. Les clapotis de l’eau contre les rochers, les courants des rivières, les mouvements des feuillages attisent notre ouïe. Les écrits viennent ponctuer le rythme de notre lecture des images : tel un journal de bord, les textes sensibles de l’auteur nous accompagnent dans les coulisses de sa démarche artistique autant que dans ses explorations. Les cadrages serrés évitant l’égarement visuel, notre immersion devient totale. Seule notre présence physique est exclue de cette déambulation. Puis, l’artiste décide de dévier le récit dans lequel, jusqu’ici, l’intervention humaine passait presque inaperçue. Par le prisme d’un verre dépoli extrait d’un appareil photo grand format — une pièce nécessaire à son fonctionnement —, notre perception se réduit désormais à ce filtre imposé. En optant pour ce processus technique, le photographe partage son rapport de proximité avec les éléments, en communion avec la lumière.

La matérialité du livre photographique ne se résume pas à un support en deux dimensions. L’expérience de sa lecture peut parfois même s’apparenter à celle d’une visite d’exposition. Pour l’artiste-photographe qui choisit de présenter un corpus d’images par la forme livresque, le séquençage se réfléchit différemment de celui d’une monstration en salle : d’un même projet peuvent naître différents récits selon l’axe narratif choisi. Tout comme le tirage, la fracture d’un ouvrage est, par ailleurs, essentielle pour en apprécier pleinement l’expérience. Malheureusement, certains enjeux liés à la production de livres au Québec — notamment les coûts et la disponibilité des papiers — font que de nombreux livres d’art sont imprimés à l’étranger (à l’instar de ceux des Éditions du Renard) afin de respecter une qualité respectable favorisant l’immersion.

Avec Vis-à-vis, Louis Perreault offre une proposition définitivement singulière. Le catalogue des Éditions du Renard affiche indéniablement, quant à lui, un large potentiel exploratoire du livre photographique québécois. 

Photos : Louis Perreault