La riso, ou les accidents colorés
![Photo : Colour Code](https://viedesarts.com/wp-content/uploads/2022/03/IMG_4822-1200x900.jpg)
La risographie est un procédé d’impression qui crée des explosions de couleurs et de textures. À Toronto, l’éditeur et imprimeur Colour Code est reconnu pour ses prouesses en la matière. Il publie justement cet hiver l’ouvrage From One Universe to Another de l’artiste Hattie Stewart. Une suite incongrue et ludique de dessins qui stimule hautement les sens.
Jesjit S. Gill, le cofondateur de Colour Code, a découvert la risographie il y a douze ans, au terme de ses études en arts imprimés à l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario. Peu connue à l’époque, elle lui permettait enfin d’imprimer des couleurs vives, fluorescentes et métalliques de type Pantone – souvent inaccessibles aux artistes – à prix modique, dans de petits tirages, et ce, au moyen d’encres écologiques à base de riz. Plus encore, Gill découvrait qu’il pouvait mixer lui-même ses couleurs et expérimenter différentes impressions. La risographie se révélait tel un nouvel outil de création, au même titre que le pinceau, le crayon ou Photoshop.
Dans son entourage, d’autres artistes visuels, bédéistes et éditeurs commençaient à s’intéresser à la riso. Gill a voulu répondre à cette demande grandissante et, en 2012, avec sa partenaire l’artiste Jenny Gitman, il dénicha une imprimante neuve. Colour Code voyait le jour.
Curieusement, le charme de la risographie réside dans son potentiel d’erreurs. Ses adeptes vous le diront. L’impression varie d’une feuille à l’autre : les textures changent, les couleurs se désalignent, l’encre a tendance à couler. Mais lorsque maîtrisées, selon Gill, ces imperfections participent à l’esthétique vivante et saturée de la risographie. Son caractère rebelle plaît aux artistes, qui voient le potentiel d’accident comme stimulant. La perfection laisse place à la spontanéité et à l’ouverture. Avec la riso, la reproduction parfaite est impossible à atteindre. Elle humanise plutôt l’impression, ce que le philosophe Walter Benjamin appelle l’aura de l’imprimé.
Ce « risque d’accident », les deux éditeurs se font un devoir de l’expliquer aux artistes, bédéistes et photographes dont ils publient les livres et les affiches, pour calibrer les attentes et s’assurer d’exclure d’emblée certaines commandes qui demandent trop d’exactitude. « Nous essayons de communiquer clairement que la risographie est un médium qui traduit une œuvre plutôt que de la reproduire », affirme Gill.
L’amour de la riso, l’artiste visuel et musicien japonais Tetsunori Tawaraya le cultive depuis longtemps. Il a déjà six bandes dessinées à son actif aux éditions Colour Code, dont Monitor (2016), Telescope (2017) et Binoculars (2018), qui explorent des mondes extraterrestres ludiques et fantastiques. Dans ses livres, un personnage grotesque et coloré est reproduit au fil des pages avec des variations constantes de couleurs stridentes. L’artiste, qui maîtrise la sérigraphie, a même appris avec le temps à créer ses dessins avec l’impression et les couleurs riso en tête. À ce jour, plus de 3 000 exemplaires des livres de Tawaraya ont été produits par Gill et Gitman, avec la précieuse aide de leur collègue Christian, qui opère leurs presses.
Si Colour Code est le porte-étendard de la risographie au Canada, les adeptes de cette technique se multiplient au pays, aux États-Unis et dans le monde depuis dix ans.
![Photo : Colour Code](https://viedesarts.com/wp-content/uploads/2022/03/IMG_6683kb-768x1024.jpg)
Si Colour Code est le porte-étendard de la risographie au Canada, les adeptes de cette technique se multiplient au pays, aux États-Unis et dans le monde depuis dix ans. « C’est une communauté tissée serrée qui s’entraide et se perfectionne constamment », dit Gill. Même si la maîtrise du procédé d’impression n’est pas évidente, l’éditeur se réjouit de voir de plus en plus d’écoles d’art, de studios de design et d’artistes acheter des imprimantes et se lancer dans l’expérimentation.
Les amateurs de risographie se côtoient traditionnellement dans les foires de livres d’art et de bédés. La pandémie a donc posé un défi de taille pour cette communauté. Les deux éditeurs de Colour Code ont ainsi décidé d’offrir des ateliers virtuels de risographie, pour poursuivre leur mission d’initier les créateurs au médium et les aider à produire leur travail. S’ils avouent qu’enseigner en ligne est complexe, leur mentorat virtuel leur a permis de se faire connaître à l’étranger et de rejoindre de nouveaux admirateurs, jusqu’en Corée.
Cette année, Colour Code souffle ses dix bougies. En une décennie, le studio torontois s’est transformé en un espace vivant de création, de collaboration et de transmission. Mine de rien, tout en prenant soin de leur entreprise, de leur petite famille et de leur communauté, Jesjit S. Gill et Jenny Gitman ont réalisé un tour de force : façonner une place pour la risographie dans la trousse d’impression des artistes, designers et éditeurs canadiens, et surtout, cultiver notre émerveillement pour les accidents colorés.