Exoplanète, dysphorie de genre, hypernova, bicurieux, nébuleuse, lesbophobie… C’est un vocabulaire riche et pluriel qui tapisse la couverture de Rebâtir le ciel. Le livre, signé par les artistes Simon Émond et Michel Lemelin, établit d’emblée un parallèle puissant entre l’astronomie et le genre. Selon les artistes, la révolution des identités sexuelles qui s’opère présentement est un changement de paradigme aussi grand que l’héliocentrisme au XVIe siècle.

Le « matériau brut » de la publication réside dans les témoignages — anonymes et poignants — de trente-deux personnes issues de communautés LGBTQIA2S+ et établies en région. Histoires de haine et d’intimidation, sorties du placard tardives, remises en question, révélations transformatrices… Ces récits intimes, Émond les a recueillis avec l’empathie la plus totale. « On ne peut plus camoufler toutes les violences qu’on a endurées, dit-iel1. On ne peut plus faire semblant que ça va bien.» Émond a aussi réalisé ces portraits en plein air sans imposer quoi que ce soit. Quant à Lemelin, iel a méticuleusement écouté chacun des enregistrements, ralentissant même les bandes son afin de bien saisir les souffles, les hésitations et les émotions.

Photo : Simon Émond

C’est Criterium, un studio renommé de Québec, qui a conçu et créé le design de ce grand journal monochrome qui se déploie entre matière noire et matière lumineuse. Un premier cahier (petit, vertical et blanc) est traversé des récits de Lemelin tirés des témoignages. Il s’imbrique dans un deuxième livret (grand, horizontal et noir), qui nous plonge dans des images nocturnes. Émond explorait déjà le noir dans son travail – un reflet symbolique, dit-iel, du « placard » dans lequel iel s’est trouvé une partie de sa vie. Iel apprivoise ici un travail photographique plus expérimental, en ne gardant sur ses images que des détails quasi imperceptibles, des contours, des textures et des points de lumière, jusqu’à confondre le céleste et l’humain.

« À l’instant de ta naissance, seul ton souffle t’habitait, libre de toute attente. Ton sourire, sans objet, flottait sur ton visage, solaire. » – Rebâtir le ciel

Les images immersives pleine page visaient à « rendre l’expérience volumique », précise MaximeRheault, cofondateur de Criterium. Le choix de travailler avec autant de noir sur une publication grand format était risqué sur le plan de la production, mais même si le papier semble avoir bu beaucoup d’encre, le résultat demeure convaincant. Le designer a aussi proposé de juxtaposer les portraits à des images de ciel tirées des archives, afin que la métaphore céleste soit présente du début à la fin.

Le résultat est non binaire. Les photos et les récits ne se répondent pas, laissant place à des interprétations plurielles. La seule association intentionnelle que Rheault, Émond et Lemelin ont convenu de faire concerne le corps céleste anonyme juxtaposé à chaque histoire ; l’idée était de rendre « hommage à ces millions de personnes issues de la diversité identitaire qui, pour cette raison, sont mortes ou mourront encore du dehors et du dedans». Car s’il se dessine une nouvelle ère du genre, la douleur des expériences passées et présentes est bien réelle pour les communautés LGBTQIA2S+. Il faut savoir les entendre et les accueillir pour mieux évoluer.

Photo : Simon Émond

Pour Émond, le ciel a toujours été un refuge. Ayant grandi à la campagne, iel raconte qu’observer les étoiles lui a servi de soupape pour se libérer de l’intimidation et rêver d’autres possibles. Pour l’artiste, le ciel est un symbole de non-retour. Il marque la fin de l’hétéronormativité : « Ç’a été un choc pour moi de réaliser que je suis une personne agenre dans un monde genré. Mais maintenant que je m’identifie comme ça, la vie est beaucoup plus simple. Tout d’un coup, je vois clair, je vois tous les mécanismes d’oppression », confie-t-iel sur une note personnelle.

Rebâtir le ciel est sans contredit un outil didactique dont le moteur est artistique, conceptuel et humain. La publication est une invitation à considérer la beauté de nos constellations de genres et de désirs. Comme quoi Copernic avait encore plus à nous apprendre que l’héliocentrisme.

(1) Le néologisme « iel » est ici préféré aux pronoms personnels « il » et « elle », car il est plus à même de représenter l’identité non genrée, ou agenre.

 

Photo : Simon Émond