Trois entretiens. Hommage à Jean Paul Riopelle
Agathe Piroir (dir.), Trois entretiens. Hommage à Jean Paul Riopelle (Montréal : Atelier-Galerie A. Piroir, 2023), 36 p., ill.
En 2023, Jean Paul Riopelle aurait eu cent ans.
Pour célébrer cet anniversaire, un livre d’artiste intitulé Trois entretiens vient de voir le jour. Conçu sous la direction d’Agathe Piroir, ce livre rend hommage au grand peintre canadien en faisant dialoguer l’écrit et l’image autour de trois thèmes centraux : la nature, l’autochtonie et la migration. Ils sont huit artistes et poètes à s’être attelés à la tâche de raconter leur attachement à Jean Paul Riopelle : Hélène Dorion, Joséphine Bacon, Chantal Ringuet, Jamasee Pitseolak, Peter Krausz, Catherine Farish, Olivier Bodart et Monique Martin. Chacun des textes est présenté en trois langues : le français, l’innu et l’anglais. Magnifiquement réalisé par l’Atelier-Galerie A. Piroir, l’ouvrage a vu le jour grâce à la Fondation Jean Paul Riopelle, en partenariat avec Culture pour tous et avec le soutien financier du gouvernement du Canada. Le fruit de ce travail a été exposé dans plusieurs lieux au Québec.
Écrit dans une langue évocatrice et pure, « Ode à la nature », le texte de la poète et artiste pluridisciplinaire Hélène Dorion, nous entraîne dans un va-et-vient entre le pouvoir créatif de la nature et la fragilité de notre condition. Ni refuge ni source de mesure, la nature raconte une histoire qui pourrait se passer de l’humain. Les paysages tourmentés de Peter Krausz et les formes mouvantes de Monique Martin font résonner cette sagesse silencieuse.
Joséphine Bacon est intriguée par une autre notion au cœur du paysage de Riopelle : l’autochtonie. Mais elle en prend le contrepied : « Autochtonie mot mystère / Un mot qui ne me ressemble pas ». Sa parole, au lieu de se mouler sur les anciennes visions d’une humanité parachevée par la nature, dirige nos pas vers la reconnaissance d’une définition impossible. Au fil des pages, les estampes de l’artiste inuite Jamasee Pitseolak font écho aux interrogations de la poète : la représentation, peu à peu, semble se décomposer. Émerge alors une image d’avant les mots, où l’humain pourra, peut-être, s’inventer une origine ; une image qui échappe aux formes convenues, et qui n’a plus d’autre refuge que la rencontre des regards.
« Migration » constitue le troisième temps de ces entretiens. Terme mal compris, mal aimé, difficile et nécessaire, sujet de tant de débats et d’écueils aujourd’hui. Ces multiples couches de sens se révèlent dans toute leur complexité tout au long du texte, riche
et nuancé, de Chantal Ringuet, écrivaine et traductrice. Dès les premiers vers s’annonce un bouleversement de l’ordre du monde. Les hiérarchies sont inversées, les normes subverties. Celui qui perturbe cet équilibre apparent, c’est l’étranger. Son passage brouille les pistes, ouvre de nouveaux espaces auxquels répondent les paysages harmonieux et vibrants de Catherine Farish et d’Olivier Bodart.
Ces entretiens – dialogues d’artistes et de poètes – rappellent avec force l’une des exigences qui traversent l’œuvre de Riopelle : chercher, dans l’acte de création, à réconcilier l’humain avec sa propre nature, avec tout ce qui l’éloigne de lui-même et lui ôte l’espoir d’une consolation.