La démarche de deux passionnés : d’une collection à une fondation
Un nouvel organisme a vu le jour récemment : la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement, dont la mission est unique dans notre province.
À l’étranger, de grandes fondations se sont faites connaître : la Fondation Louis Vuitton à Paris, la Fondation François Pinault installée au Palazzo Grassi de Venise, la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne, la Fondation Solomon R. Guggenheim, etc. De telles institutions en art contemporain, publiques et privées, existent aussi au Québec : à titre d’exemple, les fondations des musées ou la Fondation de la famille Claudine et Stephen Bronfman, qui accorde deux bourses par année à des artistes émergents. À elles s’ajoute désormais celle mise sur pied par Bernard Landriault et Michel Paradis, dont la mission est de soutenir les productions artistiques et la recherche sur l’art et l’environnement, et de diffuser ces travaux dans le milieu scolaire.
Les deux fondateurs s’intéressent à l’art contemporain depuis plus de 30 ans. Leur collection, qui comprend à l’heure actuelle plus de 300 œuvres produites par une centaine d’artistes, est un projet mené conjointement. Un ensemble d’œuvres qui les constitue, – si l’on se fie à l’interprétation du psychanalyste Gérard Wajcman, c’est le collectionneur qui est à l’image de sa collection, et non l’inverse. Pourtant, c’est seulement en 2010 qu’ils ont véritablement assumé l’appellation de collectionneurs, lorsque la réalisatrice Anne-Marie Tougas leur a proposé de faire un film sur eux et leur collection, Vivre avec l’art… un art de vivre.
Une anecdote synthétise la motivation sous-jacente des deux hommes. Lors d’une conversation avec une jeune artiste, Léna Mill-Reuillard, celle-ci énonce son besoin d’un espace pour mener à bien une production. Les locaux de la fondation sont libres, ils lui sont prêtés. Lorsqu’elle invite ses mécènes à voir les progrès de ses travaux, émus, ils mesurent leur contribution : ils ont permis à des œuvres de se concrétiser. Être en contact en continu avec la création, voilà leur objectif ultime. Pour Landriault et Paradis, la démarche de collectionnement s’est toujours accompagnée du tissage de liens étroits avec les artistes : la relation à l’autre fait partie intégrante du processus, elle le sous-tend, et en est la raison profonde.
Pour les deux collectionneurs, le lien humain est le fil rouge qui relie toutes leurs démarches.
Construire et héberger la collection
Au début des années 2000, les deux hommes demandent à l’architecte renommé Pierre Thibault de leur dessiner une maison, qui sera érigée sur la terre familiale des parents de Michel Paradis, à Saint-Edmond-de-Grantham, pour y abriter et mettre en valeur leur collection. Celle-ci s’est constituée avec ce que Landriault appelle des « “œuvres- démarche”, celles où le développement d’une idée, comme composante essentielle et unificatrice du travail de l’artiste, est finement intégré à une préoccupation formelle1. » Les types d’œuvres y sont donc diversifiés : peinture, dessin, images numériques, photographie, vidéo, estampe, sculpture… La majorité des artistes proviennent du Québec ou y ont travaillé.
Le nombre d’œuvres ne cessant d’augmenter, bientôt la maison ne suffit plus à les mettre en valeur. D’autres possibilités sont passées en revue : l’entreposage, un musée, un centre d’art, une donation. Émerge alors l’idée de la mise en œuvre d’un projet plus vaste et de la participation du milieu à ce projet.
Fonder
Conçu également par Pierre Thibault, l’édifice de la Fondation est construit à même la dénivellation du terrain qui aboutit à un ruisseau. S’inscrivant dans une veine contemporaine et dépouillée, fait de béton et de verre, il abrite la collection, mais essentiellement pour la préserver : elle est sans autre lien avec la Fondation. Un lieu de résidence y est installé, pour les futurs récipiendaires des allocations annuelles destinées à un artiste et à un chercheur.
La mission de la Fondation est locale, mais aussi nationale et internationale. Dirigée par un conseil d’administration, elle comprend aussi un comité scientifique autonome qui choisira les candidatures des boursiers. Déjà, les événements et les collaborations se sont multipliés : depuis sa création en 2018, la Fondation a accueilli entre autres SéminArts, un des programmes éducatifs du Musée d’art contemporain de Montréal, ainsi qu’une exposition inaugurale commissariée par Bénédicte Ramade. Dans cet esprit de développement en synergie, les deux collectionneurs souhaitent nouer des alliances avec des centres d’exposition et des musées d’art, ainsi qu’avec des instituts scientifiques. De 2019 à 2021, la Fondation se donne pour mandat de rejoindre 800 élèves du primaire, du secondaire et du collégial dans la région couverte par la commission scolaire des Chênes (Centre- du-Québec).
Pour les deux collectionneurs, le lien humain est le fil rouge qui relie toutes leurs démarches. Il se dégage de leurs paroles une grande empathie pour les artistes, une fascination pour la création ainsi que de la gratitude pour l’accueil chaleureux qui leur a été fait dans leur région. Sous la gouverne de ces hommes d’action, nul doute que la Fondation Grantham verra se développer des projets remarquables.
(1) Bernard Landriault (2013) Entre avoir et être, deux collectionneurs s’exposent, Outremont : Les Éditions du Passage, p. 110.