Le Festival Art Souterrain perturbe la quiétude du sous-sol montréalais : de l’autoreprésentation trompeuse à la désinformation avouée
Canulars et autres éloges du mensonge. Mythologies sur mesure. Réalités qui se glissent clandestinement dans la fiction. Avec sa thématique « Le Vrai du Faux », les commissaires de la 11e édition du Festival Art Souterrain, Maude Arsenault, Martin Le Chevallier et Joyce Yahouda, sondent un sujet qui régit de plus en plus le monde dans lequel on vit. Discussion avec deux commissaires-artistes, friands de transgresser le réel.
Depuis ses humbles débuts, Art Souterrain investit des espaces publics atypiques dans un réseau piétonnier de plus de six kilomètres, animé de cette envie de surprendre les passants en les confrontant à des œuvres d’art contemporain. Pour cette édition, le public montréalais est invité à déconstruire des impostures de tout genre et à s’interroger sur la notion d’authenticité grâce aux propositions de talents locaux et étrangers, tels que Jeanne Tzaut, Satoshi Fujiwara, Dominique Pétrin et Fayçal Baghriche.
De nombreuses propositions ont témoigné avec humour, audace et acuité de cette ambiguïté qui caractérise notre époque. À commencer par la troublante série photographique Removed (2014-2019) de l’artiste américain Eric Pickersgill. Il y explore notre rapport aux écrans par la documentation du quotidien d’individus en constante interaction avec leurs tablettes et téléphones, en enlevant lesdits dispositifs des mains. Et l’irrévérencieuse installation C’est du gâteau (2019) de la Québécoise Céline B. La Terreur, qui camoufle sang, os et cheveux dans de majestueux gâteaux de mariage pour fracasser un symbole qui dissimule parfois des situations de violence conjugale. Ou encore Le rêve de Bailu (2014), un plan-séquence du vidéaste Nicolas Boone qui nous amène en Chine dans les rues d’un faux village français. Une voix hors champ en mandarin dirige les passants dans ce qui s’avère une mise en scène exquisément artificielle.
Pour l’artiste et commissaire Martin Le Chevallier, ayant le mandat de faire la part belle aux propositions de l’Hexagone, la thématique « Le Vrai du Faux » ne pouvait mieux tomber. Il a scruté ce même sujet en 2017 dans le cadre de Make Truth Great Again, sa première exposition à titre de commissaire pour la galerie parisienne Jousse Entreprise.
Outre le projet de Boone, il mentionne aussi l’interférence ludique Métro de Montréal (2019) de l’artiste pluridisciplinaire Nicolas Milhé, dans laquelle le plan du métro de la métropole a été discrètement détourné en inversant les orientations nord et sud, comme « une perturbation sans doute inconfortable pour les Montréalais, qui invite à réfléchir sur ces codes de représentation ».
Selon le commissaire, la dimension politique des œuvres de plusieurs artistes retenus s’avère une façon de ne pas rester passif face à l’actualité.
Selon le commissaire, la dimension politique des œuvres de plusieurs artistes retenus s’avère une façon de ne pas rester passif face à l’actualité. Le Chevallier apprécie aussi particulièrement le contexte qu’offre l’espace public aux artistes. « Cela permet de jouer sur l’interrogation : qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui est faux dans ce qui nous environne ? Qu’est-ce qui est œuvre, qu’est-ce qui ne l’est pas ? »
La commissaire Maude Arsenault abonde dans le même sens en soulignant que plusieurs grosses pointures contactées pour le festival ont accepté l’invitation pour la dimension publique et démocratique des lieux d’exposition. « Je pense que tous les artistes ayant une démarche un peu militante ou qui ont envie d’élargir la portée de leur message veulent sortir des espaces de la galerie ou du musée », explique-t-elle.
Arsenault, qui est responsable du volet photographique pour Art Souterrain, explore dans sa propre pratique artistique la construction identitaire, la vie familiale et l’authenticité dans nos rapports plus intimes. Cette sensibilité pour les frontières de plus en plus troubles entre fiction et réalité teinte inévitablement son travail de commissaire.
Elle est particulièrement fière de présenter The Homecoming (2010-2015) de l’Américaine Holly Andres et Martha/Together (2014-2015) de l’Anglaise Siân Davey, deux photographes qui dépeignent le quotidien familial. Arsenault les met d’ailleurs en dialogue dans un même corridor afin de réfléchir à l’authenticité des rapports humains. « Holly Andres, avec son background en cinéma, part d’une approche complètement scénarisée pour effectuer un retour sur ses souvenirs d’enfance. Siân Davey, quant à elle, est une ancienne psychologue qui documente en images de façon très intimiste sa vie privée, et par alliance celle de son adolescente. Il y a là un rapport intéressant entre le complètement construit et le documentaire, c’est-à-dire qu’on traite des mêmes thèmes, mais de façon diamétralement opposée. En quelque sorte, c’est l’illustration parfaite de ce vrai du faux. »
De la Place Guy-Favreau jusqu’au 1000 De La Gauchetière, les piétons du centre-ville de Montréal ont pu être confrontés à trois semaines de sublimes escroqueries. Un circuit qui invite à la fois à la réflexion et aux fous rires, et qui nous incite à poursuivre la conversation ainsi lancée.