Les arts visuels, en voie d’inféodation
Les arts visuels vivent-ils une crise identitaire ? Affiliés à l’art contemporain et à l’art actuel, se cherchent-ils ? Cherchent-ils à se (re)définir, à séduire un nouveau public ou à reconquérir le public fidèle à leurs expériences antérieures ?
Ces questions tirent leur pertinence d’un constat : les productions d’arts visuels ont tendance à quérir le soutien des autres disciplines. Les arts visuels devraient-ils leur survie à une inféodation aux autres arts ? Les arts visuels (voire médiatiques) deviendront-ils dépendants des autres arts pour exister ? Ces questions sont à l’origine d’un sentiment d’inquiétude qu’expriment certains observateurs et des amateurs de créations plastiques et visuelles.
L’artiste en arts visuels qui intègre son œuvre à un opéra, à une chanson, à une pièce de théâtre, à une construction architecturale provoque-t-il un conflit ? L’artiste qui agit ainsi place-t-il son œuvre en situation d’inféodation aux autres arts ? S’agit-il ici d’intégration des arts ou d’un risque que les arts visuels se voient imposer les contraintes d’autres formes d’art ? Trois expositions récentes organisées à Montréal et à Laval attestent les difficultés qu’éprouvent les artistes à préserver l’autonomie des arts visuels et témoignent en tout cas de la dépendance des arts visuels à l’égard de diverses disciplines artistiques. Des études et des réflexions d’experts reconnus du monde de la culture en France et au Québec étayent cette situation. Nous avons recueilli aussi à ce sujet les commentaires de Pierre Blanchette, un artiste québécois.
Changement de cap en arts visuels ?
Dans un récent éditorial de Vie des Arts (nº 222), Bernard Lévy, directeur général et rédacteur en chef de la revue, s’inquiète à propos des arts visuels qui sembleraient ne plus avoir de visuels que le nom : « Les arts visuels manifestent une formidable propension à intégrer leurs disciplines sœurs : théâtre, musique, cinéma. Pour ne nommer que celles-là. Vaudrait-il mieux parler d’adaptation, ou plutôt de colonisation par les autres arts ? » Bernard Lévy n’a pas de réponse (du moins, il ne la communique pas !), mais son propos mérite une attention particulière. Certes, cette assertion et sa question corollaire peuvent étonner, voire faire sourire le visiteur qui retrouve ou découvre encore dans ses galeries et ses musées préférés les tableaux qui le confortent ou le ravissent ; toutefois, ce même visiteur risque de se rendre compte un jour qu’il ne s’est pas intéressé à temps aux courants contemporains susceptibles de marquer l’histoire de l’art, qu’ils relèvent d’une démarche expérimentale ponctuelle ou qu’ils se dessinent dans une intention de pérennité. En effet, si le phénomène n’est pas encore généralisé, certaines tendances se profilent.
Abordons d’abord l’exemple de la Galerie de l’UQAM qui présentait, en mai 2011, Conte crépusculaire, « un conte visuel et musical1 », mettant en scène le sculpteur David Altmedj et le chanteur Pierre Lapointe, accompagnés du Quatuor Molinari, d’une soprano et d’un tout jeune choriste (de la maîtrise des Petits Chanteurs du Mont-Royal). Le visiteur-spectateur est immédiatement attiré, au centre de la salle d’exposition, par le très large socle (10 m de long sur 4 m de large), qui sert à la fois de scène où vont évoluer les protagonistes du conte et de soutien pour l’œuvre de David Altmedj, une sculpture de plexiglas qui occupe toute la surface et qui se déploie en hauteur (de 2 m à 2,5 m). Structure aérienne, mais imposante, elle se compose des éléments chers à l’artiste, des fils (cuivre, nylon, laine) qui courent tant horizontalement que verticalement, des plaques de plexiglas échafaudées çà et là, des objets hétéroclites exposés (bobines, boutons, pièces de tissus, assiettes, verres, libellules en plexiglas, peaux d’animaux, potiches et fleurs), dont certains s’animaient. L’événement se définit comme « un tableau vivant » proche d’un opéra puisque les interprètes ne s’expriment qu’en chantant. Leur interaction est forcément très réduite, entravés qu’ils sont par les nombreux éléments de la sculpture. La production a été présentée quatre soirs seulement. En revanche, le dispositif de David Altmedj a été exposé durant un mois.
Traversons la Rivière-des-Prairies. D’avril à juillet 2011, la Maison des arts de Laval a présenté, à la salle Alfred-Pellan, l’exposition Du haut de mon sous-sol, œuvre de l’artiste Éric Lamontagne. Dans un espace très sombre, le visiteur marche aussitôt en direction de la façade d’un bungalow de banlieue (vieille photo) ; du coup, il aperçoit une Cadillac des années 1960, un personnage vu de dos et un immense pissenlit sculpté et peint de couleurs criardes. Derrière la façade, à la gauche de la maison, sans descendre de marches d’escalier (d’où le titre de l’exposition), le visiteur pénètre dans le sous-sol, endroit mythique. Il y découvre un lieu et des objets déformés : un poêle à bois, un sofa dont une partie s’affaisse, un poste de radio qui s’enfonce dans le sol, une vieille télévision avec un écran allumé mais brouillé, un tourne-disque avec des microsillons aussi mous que les montres de Dali, un panache d’orignal dans un cadre et, à gauche, une pièce de débarras, au sol incliné. L’artiste n’a pas fait revivre ces objets tels qu’ils étaient lorsqu’il fréquentait son sous-sol. Pourquoi ? Avec le recul, est-ce la vision que l’artiste en garde ? Pour « représenter » ses souvenirs, il crée « pour la première fois une peinture immersive qui emprunte au théâtre, à l’architecture, au cinéma, au design et à la sculpture : on découvre […] l’envers du décor et l’illusion de la peinture2 ».
Pourquoi exprime-t-il ainsi ses souvenirs ? Et surtout, comment veut-il les communiquer au visiteur ? André-Pierre Paré, professeur de philosophie et ami de l’artiste, dans un tapuscrit qui accompagne l’exposition, tente une explication : « […] dans cette installation, à mi-chemin entre la peinture et la sculpture, la technique de représentation, que l’on qualifie parfois d’art du faux, est ici intégrée à une mise en scène architecturale qui fait intervenir la conscience du temps3 ». Éric Lamontagne déborde cette fois-ci de son médium habituel, le tableau.
Comme troisième exemple, Claude Gosselin, directeur général et artistique de la Biennale de Montréal, a placé l’édition 2011 sous le thème du hasard en art. Ce choix lui a été inspiré par le poème de Stéphane Mallarmé(1897) Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Ainsi la Biennale, soumise à la « tentation du hasard », s’est alliée – ou s’est assujettie – au poème, pré-texte et prétexte de l’œuvre de chaque artiste, lui conférant son sens quitte, s’il n’est pas évident, à ce que l’artiste l’explique au public. Il est certes d’usage courant dans une exposition collective d’imposer un thème aux artistes. Cependant le risque, avec un thème aussi littéraire que celui choisi par la Biennale 2011, est de réduire la création artistique au rang de simple illustration, et donc d’en limiter considérablement la portée.
Résonance dans les musées ?
Le phénomène que nous venons de décrire se répercute dans les musées. C’est ainsi que des artéfacts, des tableaux, voire des collections ne sont plus présentés seuls, mais avec des adjuvants provenant d’autres arts : théâtre, architecture, musique et arts médiatiques. Certains muséologues encouragent cette tendance, d’autres s’en offusquent – ou presque. Deux chercheurs en muséologie se sont exprimés sur le sujet. Noémie Drouguet, de l’Université de Liège, parle d’expositions-spectacles et Serge Chaumier, de l’Université d’Arras, constate qu’un nouveau type d’exposition se déploie dans les musées.
En 2005 déjà, dans un article paru dans la revue universitaire Culture et Musées, Noémie Drouguet4 s’interrogeait sur le phénomène des expositions-spectacles, en se demandant s’ils constituent des succès ou des revers. Elle se référait alors à de grands événements organisés par des firmes privées qui ont « pour ambition d’allier culture et divertissements ». Elle illustrait son propos avec la première exposition de ce genre, Tout Hergé (1991), conçue et planifiée par deux professionnels issus du domaine de l’organisation culturelle et un artiste du spectacle ; aucun d’eux n’avait jamais monté une exposition :
Ce qui crée la surprise et l’engouement, c’est la scénographie spectaculaire. Des décors donnent l’impression au visiteur d’être plongé dans l’univers des héros tels Tintin ou Quick et Flupke comme s’il visitait des cases de BD en trois dimensions. Les « reconstitutions » alternent avec des présentations classiques, muséographiques, de planches illustrées encadrées et de pièces de collection dans des vitrines (p. 66).
Noémie Drouguet constate le changement dans l’offre adressée au visiteur des musées. Il s’agit d’« attirer un public large et nombreux dans le but de lui proposer un divertissement intelligent, [de] jouer sur l’immersion, l’émotion et les sensations et surtout, [de] se démarquer des musées traditionnels, jugés “poussiéreux” » (p. 68). Après avoir dressé un tableau plutôt sombre de la situation, la chercheure tente toutefois de nuancer son propos. Elle trouve même « certains mérites » à ces vastes expositions puisqu’elles « s’adressent à un public large, populaire et familial et [qu’elles] mettent tout en œuvre pour le toucher » (p. 82-83). Elle ajoute également que certaines institutions plus classiques « pourraient incorporer les meilleurs ingrédients à leurs propres productions sans risquer de vendre leur âme » (p. 83). La critique plutôt virulente du début de son propos est ici adoucie…
Selon Serge Chaumier, nous assistons « à un nouveau type d’exposition dans les musées [puisque] c’est la parole qui prend le devant de la scène5 ». Pour ce chercheur (qui compte 20 ans d’expérience) et observateur appliqué des musées (tant de sciences que de beaux-arts, d’art contemporain, de société ou d’histoire), « l’alliance muséo-scéno devient le moteur de l’expérience d’exposition ». Ce nouveau couple « favorise la réflexion sur les autres fonctions de l’exposition […] et permet de positionner l’exposition comme vecteur des débats ». Serge Chaumier affirme que « le musée du XXIe siècle sera un théâtre de paroles ». À titre de professeur-chercheur en muséologie – et pour tenir compte de cette logique –, il invite ses collègues « à former des professionnels en plaçant le concept [de muséo-scéno] au centre de la démarche entre l’objet et le public ».
Théâtre de paroles et médiation
Dans les deux premiers exemples (les expositions de la Galerie de l’UQAM et de la Maison des arts de Laval), les dispositifs s’apparentent à du bricolage : en fait, un amoncellement d’objets liés les uns aux autres pour justifier une trame narrative. Sans la médiation d’une narration, d’un théâtre de parole et d’emprunts à d’autres « disciplines sœurs », les éléments visuels ne pourraient pas être (bien) compris. Quant à la Biennale, la lecture des œuvres est en principe facilitée par la poésie, qui agit à titre de médiatrice.
David Altmedj a réalisé une structure à l’apparence ingénieuse. Cependant, elle n’est pas assez explicite. Le seul élément vraiment significatif du spectacle est le sarcophage du roi qui se révèle comme tel parce que le roi y est enfermé et que, sur le point de mourir, le monarque annonce son envol vers le ciel. Privé du spectacle, le dispositif – deux panneaux de plexiglas – laissé au seul examen de l’œil du visiteur ne revêt plus la même fonction : personne ne pourrait deviner qu’il s’agit d’un sarcophage. On peut même se demander quelle est sa justification dans la composition de l’œuvre et, même, quel rôle il tient dans l’espace de l’exposition. Enfin, les paroles et la musique, si présentes dans le spectacle, manquent cruellement pour décoder le contrepoint narratif du dispositif, bien que des artéfacts et des vidéos rappellent la prestation des musiciens et des chanteurs. Louise Déry, directrice de la Galerie de l’UQAM, nous confiait le soir de la dernière prestation (le 7 mai 2011) que la Galerie avait innové en appuyant cette création multidisciplinaire et qu’elle trouvait « folle » toute cette aventure. Oui, mais encore ? Est-ce bien l’objectif ?
La question demeure quand même : que devient l’installation de David Altmedj sans la prestation de Pierre Lapointe, sans les chanteurs, sans la musique du Quatuor Molinari6 et sans les airs d’opéra ? Sans ces éléments, l’œuvre n’est qu’une charpente de plexiglas, certes brillante, mais qui n’a rien d’un palais royal.
En ce qui concerne l’exposition Du haut de mon sous-sol, « l’installation de Lamontagne est une représentation très personnelle de cette conscience qui repose sur les ruines de son passé. Ce passé en lambeaux qui tente vainement de se reconstituer, alors qu’il s’agit uniquement d’avancer. De continuer à désirer7. » L’artiste veut « raconter » son sous-sol, en faire une narration non chronologique, juste empreinte de sentiments partagés. Et pour cela, un tableau – et même une installation – n’aurait pas suffi pour montrer tout ce que l’artiste veut faire ressortir de ses souvenirs (les siens et ceux du sous-sol personnifié). Dans ce cas-ci, Lamontagne opte pour une alliance entre le discours narratif, les montages audiovisuels, les effets lumineux, le bricolage, les objets déformés (comme la montre molle de Dali), les objets surdimensionnés, les jeux d’ombre et de lumière, ainsi que le mur découpé et une grande photographie qui témoignent de l’intention de quitter le sous-sol.
Quant à la Biennale de Montréal, le visiteur se sent rassuré puisque, tout au cours de sa visite, il se rattache au poème de Mallarmé – qu’il connaît ou du moins qu’il feint d’avoir jadis lu ; quoi qu’il en soit, un extrait du poème est disponible. Devant ces adjuvants à l’œuvre et pour l’œuvre, des questions surgissent : en s’associant à des disciplines sœurs, l’artiste en arts visuels brise-t-il la solitude de son atelier ? Cherche-t-il une source d’inspiration ? Ou encore participerait-il activement à la médiation de son œuvre ?
Dans la présentation du numéro 3 de Culture et Musées portant entièrement sur « Les médiations de l’art contemporain », Élisabeth Caillet et Daniel Jacobi8, ses codirecteurs invités, posent ainsi la question : « […] l’art contemporain est-il parvenu à s’échapper du petit monde dans lequel il est enfermé pour élargir son audience et renouveler ses publics ? » (p. 13). Mettant particulièrement l’accent sur l’importance de la médiation culturelle pour faire comprendre l’œuvre, les auteurs constatent que « l’art contemporain se démarque et du coup mobilise un public différent. Son appareil de médiation et d’interprétation ne gagnerait-il pas à en faire autant ? » (p. 15). Les chercheurs ayant observé que, somme toute, « la notion de médiation serait inadéquate » en viennent à la conclusion que « c’est donc la notion de médiation qui demande à être interrogée et réinterprétée » (p. 16).
Nous pourrions peut-être expliquer de cette façon le fait que des organismes, s’apercevant du déclin de la médiation traditionnelle en art contemporain, ont trouvé opportun de développer le concept d’événements-spectacles.
La notion de médiation indirecte
Il semble – mais il faudrait le confirmer – que, décidés à prendre en main la médiation de leurs œuvres, des artistes en arts visuels s’unissent à des artistes d’un autre champ artistique ou de plusieurs autres arts pour deux raisons principales : d’abord pour élargir leur public et peut-être ensuite dans un souci de clarification du sens de leur(s) œuvre(s).
L’artiste veut raconter, parfois même expliquer : c’est comme si, à l’heure d’Internet et des médias sociaux, l’image n’était plus suffisante. Ainsi le tableau et l’installation ne seraient plus assez grands pour contenir tout le message : l’artiste éprouve le besoin de déborder, de parler, d’illustrer, d’ajouter du son, des mots, des gestes pour se faire comprendre.
Qu’advient-il lorsque l’œuvre devient orpheline du spectacle ? Et qu’advient-il lorsque le spectacle qui faisait corps avec un tableau ou une installation ne l’accompagne plus ?
Mode ou pérennité ?
Est-il permis de penser qu’une œuvre d’art qui existe par elle-même et que le visiteur contemple jusqu’à la délectation (selon la définition du musée par l’ICOM, le Conseil international des musées) doive faire partie du paysage culturel et muséal ?
Dans le long entretien qu’il nous a accordé, Pierre Blanchette – peintre abstrait reconnu pour sa démarche artistique très rigoureuse – dit avoir lui aussi remarqué le phénomène de la culture-spectacle, partout, dans les arts et en littérature. Affichant une certaine compréhension, il se pose toutefois cette question : « Comment va-t-on regarder des œuvres qui exigent du temps, des œuvres qui exigent des moments de concentration et d’intériorité ? » Il constate la perte de tout cela avec les nouveaux médias, et il réfléchit tout haut : « Les jeunes auront-ils la capacité de se donner un temps de réflexion ? Pour eux, tout est dans le spectacle et il ne faut pas que l’observation dure longtemps. » Pierre Blanchette estime que « l’appréciation de certaines œuvres va en souffrir ». Néanmoins, se voulant optimiste, il se console : « Peut-être qu’il y aura un retour du balancier. » L’artiste se souvient d’une conversation avec une de ses consœurs de New York qui lui disait : « Nous sommes dans une ère d’entertainment, tout relève de cette capacité d’entertainment ; tout est dans l’immédiat pour divertir », et également pour se faire remarquer. Pour Pierre Blanchette, nous traversons une époque du « Éblouis-moi ! », par opposition au « Surprends-moi ! ». Pierre Blanchette va même plus loin en affirmant que des artistes, attirés par ce phénomène, réalisent des « œuvres qui dans leur propre discipline ne seraient pas considérées par leurs pairs ».
Question de vocabulaire ou tendance réelle ?
Dès lors, la médiation culturelle doit se renouveler. Elle ne correspond plus aux normes actuelles. Certes, la technologie est là pour prendre la relève, mais les autres arts peuvent et veulent assurer cette médiation. Dans quelles conditions ? C’est comme si l’artiste contemporain voulait prendre en charge la médiation de son œuvre de peur qu’elle soit mal expliquée. Ainsi il crée une œuvre et demande à un acteur, à un musicien ou à un architecte d’illustrer, de narrer et d’illustrer son propos. Il s’appuie sur un texte ou un environnement sonore pour l’habiller ou la décorer. Est-ce cela la démocratisation de l’art ?
Au cours de nombreuses conversations portant sur les rapports des arts visuels avec d’autres disciplines, amateurs d’art et spécialistes nous ont affirmé que le phénomène n’est certes pas nouveau. On trouve, bien sûr, des œuvres où convergent les talents de divers créateurs (musiciens, dessinateurs, poètes) depuis la plus haute antiquité. Sans remonter si loin, par exemple au début du XXe siècle, il existait des cercles où poètes, peintres, écrivains s’influençaient mutuellement, suscitant même des mouvements artistiques. On peut nommer des compositeurs influencés par des peintres : Debussy inspiré par Monet, Satie par Picasso. La différence avec la situation actuelle tient au fait que chaque œuvre existe par elle-même – tableau, poème, sculpture – et n’est nullement tributaire d’une autre œuvre. Cela ne signifie pas que tout artiste doive travailler isolé, loin de là. Toutefois, son œuvre doit lui appartenir en propre. Dans les exemples d’expositions que nous avons présentés et dans les propos des deux universitaires que nous avons reproduits, nous voyons que l’apport des disciplines extérieures aux arts visuels est partie prenante du spectacle réalisé. Le danger, c’est que l’œuvre ne puisse plus exister sans le spectacle.
Nous pensons avoir contribué à étayer une réponse à la question de Bernard Lévy. Mais il faudra poursuivre la réflexion, comme l’évoquait déjà Noémie Drouguet, à la suite de sa critique des événements-spectacles. Toutefois, le phénomène des disciplines sœurs ne concerne plus seulement les arts plastiques et visuels. Le vocabulaire propre à une discipline est souvent appliqué dans une autre. Ainsi, dans une interview qu’elle accordait récemment à Michel Bélair, du quotidien Le Devoir, Hortense Archambault, codirectrice du festival d’Avignon, affirmait qu’elle se voit fort bien dans le rôle de conservatrice d’une grande exposition dont le cycle serait annuel. Et Michel Bélair de conclure son article : « Place donc, au cours des semaines qui viennent, à l’exposition Avignon 2011 9 ».
Un festival de théâtre – et pas le moindre, celui d’Avignon – se réclame de l’exposition. Les revues de théâtre feront-elles la même analyse relativement à l’inféodation de la dramaturgie aux autres arts ?
(1) Programme de Conte crépusculaire, distribué à l’entrée de la Galerie de l’UQAM.
(2) http://www.tourismelaval.com/fr/visiteurs/evenements/?nid=3384, site de la Maison des arts de Laval, consulté le 3 mai 2011.
(3) André-Louis Paré, « Au diable le sous-sol ! », Texte tapuscrit d’accompagnement de l’exposition d’Éric Lamontagne, Du haut de mon sous-sol, p. 2. (Texte bientôt disponible sous forme de publication). À noter que ce texte ne fait pas partie du parcours de l’exposition et que le visiteur est libre de le consulter à l’entrée de la salle d’exposition.
(4) Noémie Drouguet, « Succès et revers des expositions spectacles », Culture et Musées, nº 5, Arles, Actes Sud, juin 2005, p. 65-88.
(5) Serge Chaumier, « Le musée du XXIe siècle : un théâtre de paroles ? », Communication présentée au colloque Le musée, théâtre d’objets ? Impacts des nouvelles tendances et responsabilités éthiques, 79e Congrès de l’ACFAS, Université de Sherbrooke, le 12 mai 2011.
(6) Le Quatuor Molinari crée des événements avec des artistes en arts visuels pour rapprocher les deux publics : http://quatuormolinari.qc.ca/fr/?page_id=22 et il s’est produit sur scène dans un spectacle de Pierre Lapointe : http://quatuormolinari.qc.ca/fr/?p=1295.
(7) André-Louis Paré, Ibid., p. 3.
(8) Culture et Musées, nº 3, Arles, Actes Sud, septembre 2004, p. 13-21.
(9) Michel Bélair, « Festival d’Avignon : mode d’emploi », Le Devoir, les samedi 16 et dimanche 17 juillet 2011, p. 3.