ORANGE 7 : un jardin de résistance et de solidarité
Après une trêve pandémique, la triennale en art actuel ORANGE est de retour avec une édition tentaculaire. Intitulé Cultiver l’humilité | M8jagen piwihozw8gan, l’événement se déploie tout l’été en deux volets présentés au centre Expression et au Jardin Daniel A. Séguin à Saint-Hyacinthe, et fait aussi un saut à La Pocatière et à Saint-Germain-de-Kamouraska. Les commissaires invitées, Elise Anne LaPlante et Véronique Leblanc, décrivent cette septième édition comme un rendez-vous artistique et communautaire qu’elles ont imaginé afin d’honorer la force de résistance des plantes. Fidèles à la tradition de ORANGE, elles éclatent le cadre de l’art contemporain grâce à des collaborations avec des artistes des métiers d’art, des scientifiques et des membres de la communauté w8banaki d’Odanak. Le généreux programme d’activités et la liste des artistes, parmi lesquelles comptent Maude Arès, Hannah Claus et Erika DeFreitas, promettent de multiples possibilités de découvertes et des moments précieux pour repenser nos relations avec le monde végétal.
À quelques semaines de l’ouverture, j’ai correspondu par courriel avec les commissaires pour en apprendre davantage sur leur processus de création à quatre mains, ainsi que sur les implications d’une exposition qui entend brouiller les frontières entre art et vivant.
Florence-Agathe Dubé-Moreau — Elise Anne et Véronique, vous alimentez toutes deux des pratiques de commissariat distinctes. De quelles manières avez-vous abordé la conjugaison de vos démarches dans le cadre de ce projet ?
Elise Anne LaPlante et Véronique Leblanc — Notre collaboration s’est développée au gré de la relation qui s’est forgée entre nous. Bien sûr, nous contribuons à cette relation à partir de nos expériences respectives, mais ce qui caractérise avant tout notre duo, c’est un désir d’apprentissage partagé, l’échange tant d’un point de vue pratique qu’intellectuel, et l’émergence d’une amitié. Nous pourrions dire que nous sommes un duo tissé serré, dans la mesure où nous avons adopté ensemble une approche curatoriale qui est en quelque sorte propre à notre paire et ce, davantage qu’une cohabitation de deux démarches singulières.
Diriez-vous que cette dynamique collaborative a donné une direction à la forme finale de l’exposition ?
Tout à fait ! Pour la triennale, nous avons souhaité faire de la rencontre une boussole, à commencer par celle entre nous, suivie de celle avec les artistes qui ont grandement contribué à la manière dont s’est infléchie notre proposition. Le déplacement de nos propres perspectives et la volonté de rapprocher nos démarches curatoriales de nos vies quotidiennes ont guidé chaque étape de la réalisation.
Il semble y avoir une résonance entre le côté vivant, ou toujours en devenir, du processus que vous décrivez et la thématique qui vous occupe.
On se permet de croire que les plantes y sont pour quelque chose, oui. Quelque temps avant le début de notre collaboration, nous nous sommes croisées à plusieurs reprises ; des occasions au cours desquelles nous avons pu discuter de nos intérêts communs pour le jardinage, l’herboristerie, la vie végétale, et avons même échangé quelques boutures. C’est à partir de cette humble fascination et de notre soif d’apprendre que le projet a germé. Nous sommes parties ensemble à la rencontre de pratiques artistiques et communautaires qui traversent maintenant le propos de ce qui est devenu Cultiver l’humilité | M8jagen piwihozw8gan.
Votre commissariat trouve une solide assise en art contemporain, mais vous définissez tout autant cette édition de ORANGE par ses relations avec les sphères culturelles, artisanales, scientifiques et sociales. Quelles sont les motivations derrière la création d’un tel écosystème ?
Ces champs d’activité sont au cœur des pratiques des artistes que nous avons réunies, qu’il s’agisse de jardinage, de perlage, de teinture ou d’impression textiles, ou encore d’enquêtes sur l’exercice de l’herboristerie communautaire, sur l’objectification du corps des femmes racisées ou sur les récits spéculatifs au sujet de la vie minérale. En résonance avec ces différentes formes de pensée dans le faire, nous avons concocté un programme public qui comporte des rassemblements et des ateliers. Ces activités, ancrées dans des savoirs construits en relation avec les plantes, proposent des occasions d’expérimentation, de réflexion et d’apprentissage collectifs dans lesquelles nous privilégions une posture d’apprenantes. Nous sommes convaincues que des conversations riches peuvent survenir en valorisant les savoirs et les pratiques dans une perspective de déhiérarchisation.
Nous imaginons que ces rencontres porteront sur les liens qui peuvent être tissés affectivement avec certaines plantes, mais aussi sur les relations entre les gens et le territoire. Nous reconnaissons que cette intention curatoriale invite à se rassembler sur des territoires ancestraux non cédés de deux nations autochtones. En ce sens, nous aimerions créer des occasions de fréquenter les histoires et les cultures des peuples W8banaki et Wolastoqey, à la lumière des précieuses collaborations qui se sont développées avec le Grand Conseil de la Nation Waban-Aki et la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. Nous espérons aussi que transparaîtra notre admiration pour le travail des artistes, porteuses de savoir, autrices, conteuses, intellectuelles, guérisseuses, cueilleuses, artisanes et chercheuses qui cultivent différents rapports aux plantes et contribuent ainsi à enrichir, à complexifier, à nuancer et à démultiplier les possibilités de relations que nous, êtres humains, pouvons entretenir avec elles.
De quelles manières s’expriment plus concrètement ces interactions ? Quels liens sont tissés ?
Le microfestival que nous organisons dans le Kamouraska, avec la collaboration de Vrille art actuel, en est peut-être l’exemple le plus manifeste. Sur une durée de trois jours, du 8 au 10 juillet 2022, des ateliers pratiques sur l’observation des sols d’un point de vue microscopique ou la création textile à partir de teintures végétales, entre autres, côtoient des performances artistiques et une séance de projection de courts métrages au sujet de la vision wolastoqey du territoire. Il est important pour nous d’honorer les savoirs ancestraux et actuels qui enrichissent notre rapport au monde, et nous ressentons le besoin de décentrer notre regard humain vers ce que peut être la vie végétale.
Vous investissez également l’espace virtuel par l’entremise d’une plateforme Web en marge de l’exposition. D’où vient cette idée ?
Elle est apparue grâce à la générosité des artistes et la richesse de nos conversations avec elles. Plusieurs nous ont parlé de sources d’inspiration ou d’initiatives qui les avaient marquées, ou même de parties moins visibles de leurs recherches qui trouvaient écho dans les idées qui circulaient dans le projet. Les marges de nos carnets de notes étaient remplies de ressources fascinantes ! Et puis les liens entre ces divers éléments se multipliaient au fil des rencontres. Reconnaissant l’immense privilège que représentaient tous ces partages, nous avons donc commencé à fabuler une manière de mettre en commun ces pistes et ces connexions pour les transmettre aux publics. C’est devenu pour nous un moyen de prolonger ces conversations et de les réinvestir dans des réflexions qui pourraient émerger lors de l’événement. Toujours avec le souhait de créer des rencontres, nous avons invité Laura Demers à se joindre à nous, à titre de commissaire adjointe pour ce volet. Elle a assemblé avec sensibilité et attention les constellations qui constituent LA FRICHE, un espace Web à la fois organisé et ouvert, dont les options de navigation permettent une expérience unique à chaque personne.
Vous ouvrez le texte qui accompagne l’exposition en posant la question : « Que voulons-nous apprendre des plantes ? » Avec quels apprentissages ressortez-vous de cette expérience ?
Probablement que plusieurs apprentissages nous apparaîtront seulement plus tard, mais grâce aux pratiques des artistes, nous nous sommes intéressées aux valeurs affective, symbolique, historique, nourricière et médicinale de certaines plantes. Nous avons été particulièrement touchées par leur fragilité, leur capacité de se régénérer, leur croissance lente, leur toxicité et leur interdépendance avec leur milieu de vie. Elles nous ont amenées, d’une certaine manière, à développer des relations sensibles et ouvertes à la vulnérabilité, ce que nous vivons comme un potentiel de résistance à travers la création de nouvelles solidarités.
La Biennale ORANGE, Cultiver l’humilité | M8jagen piwihozw8gan, a lieu du 12 juin au 11 septembre 2022, et présente le travail des artistes Carrie Allison, Maude Arès, Katherine Boyer, Hannah Claus, Erika DeFreitas, Zoé Fortier, Ileana Hernandez, Ana Hupe & Barbara Marcel, Annie France Leclerc et Joiri Minaya.