Santé – Qu’en pense votre architecte ?
L’obésité gagne du terrain ? Il faut construire de façon à inciter les usagers à emprunter les escaliers. Les allergies affectent de plus en plus de monde ? Les villes doivent revoir leur sélection d’espèces végétales. La population vieillit ? En tenir compte concrètement est envisageable. Le mot clé est la préservation de la santé, cette santé que nous voudrions éternellement florissante, conformément aux canons et aux promesses des laboratoires et de la publicité. Du coup, la ville devrait, elle aussi, être « en santé ». Mais d’emblée, le titre de l’exposition le rappelle : nous sommes en imparfaite santé, la pollution va croissante, la pyramide des âges s’inverse lentement mais sûrement, les épidémies ne sont jamais loin et le cancer frappe de plus en plus de gens. Est-ce pour cela que nous sommes de plus en plus obsédés par le culte de la santé ?
Magnifiquement introduit par un panneau dont certains mots sont soulignés par l’usage du néon, le circuit de l’exposition En imparfaite santé se lit de façon continue à travers six grands volets : l’allergie, l’asthme, l’épidémie, l’obésité, le cancer et le vieillissement. Illustrés par des plans, des photographies et des légendes explicatives que viennent utilement compléter des livres posés sur une table, les projets d’architectes alternent avec ceux de designers et d’artistes qui abordent plus ou moins directement les sujets connexes. Si l’installation vidéo sonore de Susan Bürner évoque clairement la place de la nature dans la ville, les images noir et blanc de Robert Adams (Vues de la ville et des nuages la nuit, 1973) tiennent davantage de la rêverie suscitée par les ciels nocturnes encombrés de nuages. Conférer une certaine homogénéité à la présentation de matériaux composites n’est pas simple. Pour y arriver, les commissaires ont fait appel à deux architectes (Agence OFFICE, Kersten Geers et David Van Severen). Le résultat est convaincant. Le long mur de verre qui divise l’espace unifie l’ensemble du circuit et renforce l’impression, pour le visiteur, d’être dans un laboratoire tout en constituant aussi un élément physique intéressant par les multiples reflets qu’il suscite (renvoyant aussi à la multiplicité des points de vue ou, comme le précise un des concepteurs de l’installation, à la « fausse idée de la transparence »). L’effet épuré du mur de verre est relayé par la présence de piédestaux minimalistes en faux marbre, objet d’architecture par excellence dans l’esprit de Memphis ou aire de repos post-moderniste bienvenue.
Comme l’asthme est devenu une maladie très répandue chez les enfants au Canada, un horticulteur, Peter Prakke, a lancé un projet pilote de plantations sélectives dans les cours d’école. À Milan, un autre projet développe des jardins anallergiques tout en diffusant l’idée du paysage évolutif qui suit les différentes saisons. Un chercheur américain, Thomas Leo Ogren (auteur d’un essai Safe Sex in the Garden), a mis au point une échelle (OPALS) mesurant le potentiel allergène des espèces. D’autres préconisent de sélectionner les espèces selon que la pollinisation s’effectue sur des plantes ou des arbustes mâles ou femelles (la tendance dans les villes a consisté jusqu’ici à privilégier les plantes mâles pour des raisons esthétiques et pratiques).
Prenez donc l’escalier
Faut-il éradiquer l’exploitation de matières dont on connaît l’effet dévastateur sur la santé ? Les pays les plus avancés montrent-ils l’exemple à cet égard ? Face aux imposantes photographies de Geoffrey James prises à Asbestos, on ne peut s’empêcher d’associer le cas de l’amiante (dont la toxicité et l’effet cancérogène sont désormais choses admises) au manque d’éthique environnementale du Canada : alors que l’amiante y est désormais interdite d’usage et éliminée des bâtiments par désamiantage, son exploitation à des fins d’exportation n’est pas remise en cause par le pays. Un peu plus loin, une photographie prise à Guiyu en Chine montre un amoncellement de déchets électroniques (issus de plusieurs pays) que des travailleurs démantèlent à mains nues sans aucune précaution pour en retirer ce qui peut être recyclé. Leurs manipulations dangereuses (bains d’acide et cuissons de circuits imprimés) leur valent quantités de maladies cutanées et de dysfonctions neurologiques. La nécessité de repenser le traitement des déchets dans les villes suscite plusieurs projets intéressants dont celui du Bjarke Ingels Group : une pente de ski praticable toute l’année a été aménagée sur le toit d’un nouveau centre de traitements près de Copenhague, donnant au bâtiment une nouvelle pertinence sociale.
Si l’environnement est menaçant à de nombreux égards, qu’en est-il du chez-soi, habituellement considéré comme régénérateur ? Un projet de recherche (Heterogeneous Home) souligne par un schéma éloquent la situation de connexion permanente qui caractérise l’habitat contemporain : la technologie omniprésente (télévision, ordinateur, téléphone cellulaire et assistant numérique personnel) dont chacun s’entoure produit un effet d’homogénéisation contraire aux conditions de régénération. Loin d’être technophobe, le projet suggère une vision de la technologie innovatrice qui permet un espace de vie hétérogène. Illustrée de manière humoristique par une amusante petite figurine du Captain B. Mc Crea posée sur un piédestal, la problématique de l’obésité représente un autre enjeu important dans l’appréhension de l’environnement par les architectes et les urbanistes. Ainsi, les Active Design Guidelines de la Ville de New York ont placé la promotion de l’activité physique au centre de leurs stratégies. Pour la planification d’une bibliothèque de Queens (Marpillero Pollak architectes), la circulation a été pensée de façon à maximiser les déplacements horizontaux des usagers. Le lien entre les deux niveaux se fait par l’intermédiaire d’un escalier monumental placé au centre du bâtiment. Les interactions entre usagers sont favorisées, et les terrasses proposent des aires d’exercices et de jeux.
Une nouvelle notion du bien-être
Très symboliquement placé en fin de circuit, le volet Vieillissement offre différents points de vue sur la façon d’aborder le « grand âge ». Si les stratégies les plus anciennes se résument souvent à proposer la retraite dans des lieux de type communautaire du genre de Sun City typique des années 1960, aujourd’hui l’accent est également mis sur la nécessité de concevoir des espaces et des objets destinés aux individus âgés en tenant compte de leur condition physique. Des chercheurs du MIT ont conçu à cet effet la combinaison AGNES, qui permet à ceux qui l’enfilent d’expérimenter physiquement l’état physique moyen des individus âgés de 75 ans ; dans un registre plus poétique, la Britannique Sophie Handler propose un guide Alternative Seating qui fait un inventaire détaillé des lieux non conformistes (murets peu élevés, bornes confortables) où des aînés peuvent prendre place dans certains endroits publics d’un quartier de Londres (East London), munis s’ils le désirent d’un coussin portatif spécialement dessiné par l’artiste Verity-Jane Keefe.
Soigneusement sélectionnés et souvent accompagnés d’images d’artistes leur faisant écho, les projets présentés par les commissaires de l’exposition, Mirko Zardini (directeur du CCA) et Giovanna Borasi (conservatrice de l’architecture contemporaine), illustrent de façon très pertinente la manière dont l’architecture et l’urbanisme appréhendent les enjeux de la santé liés aux problèmes environnementaux et tentent d’apporter des solutions. Ce faisant et sans tenter de prendre parti, ils révèlent maintes contradictions inhérentes à notre vision actuelle de la santé. Si la soif d’une condition physique impeccable (y compris celle du monde animal, traité dans le volet Épidémie) semble sans limites, l’architecture et l’urbanisme ont évidemment les leurs. Sujet potentiellement lourd, la médicalisation de l’architecture dont il est question ici nous confronte à des questions angoissantes (la pollution, la maladie, la vieillesse, la mort…), mais elle débouche aussi sur des perspectives stimulantes par l’entremise de l’immense créativité qui ressort de nombreuses propositions et s’avère une source passionnante de documents et d’images sur les capacités de l’architecture à l’aube du XXIe siècle à assumer son époque dans toutes ses (dé)mesures.
Kirill Kuletski, photographe
Alors que l’on ignore encore les causes directes de son apparition chez l’individu, l’asthme est un fléau très répandu — 235 millions de personnes en souffrent dans le monde. Pour diminuer ses symptômes, toutes sortes de moyens ont été mis en œuvre, notamment la spéléothérapie : en 1843, un médecin polonais, Feliks Bochowski, a découvert que les anciennes mines de sel renfermaient un air idéal pour calmer et soigner les maladies pulmonaires, et l’asthme en particulier. Quelques photos montrent des patients se reposant sur des lits d’hôpital placés contre des parois rocheuses, dans des salles de cure aménagées dans les profondeurs des mines, parfois à 300 mètres sous terre.
Nerea Calvillo, architecte
La pollution inhérente à la vie citadine est certainement l’un des éléments qui contrecarrent le plus notre idéal de santé : les grandes villes affichent des degrés élevés de toxicité, dont les habitants sont plus ou moins conscients. Décrites par des photographies en 2D et des images très délicates en 3D, les masses d’air toxique repérées à Budapest, Madrid et Santiago (Topographies de la toxicité, Nerea Calvillo, C+ architectes) sont plus qu’évocatrices du manteau de pollution plus ou moins épais qui recouvre les grandes cités. Peut-on retenir et contenir la pollution ? Intitulé Breathing Room, un projet destiné à trois villes très polluées (Linfen en Chine, Norilsk en Russie et La Oroya au Pérou) propose de faire de la façade des bâtiments un filtre protecteur, qui emprisonne les particules de matière polluée tout en purifiant l’air de la ville. Une autre image montre qu’il est aussi possible d’augmenter le niveau de conscience des citadins en concevant une façade d’immeuble comme un immense écran repérable de loin et indicateur — par ses couleurs changeantes — du niveau de pollution ambiante. La conscience de l’impact que l’environnement peut avoir sur la santé se matérialise de manière frappante dans le cas (illustré par une vidéo) de Carol White, dont la polysensibilité aux éléments chimiques est devenue telle qu’elle est condamnée depuis des années à vivre dans une communauté recluse, installée dans des lieux entièrement repensés de manière à exclure tous les éléments chimiques de l’environnement ordinaire.
EN IMPARFAITE SANTÉ – La médicalisation de l’architecture
Commissaires : Mirko Zardini, directeur du CCA et Giovanna Borasi, conservatrice de l’architecture contemporaine
Centre Canadien d’Architecture
1920, rue Baile Montréal
Tél. : 514 939-7026
www.cca.qc.ca
Du 25 octobre 2011 au 1er avril 2012