La couleur noire a dominé la 7e Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières. Noire au sens quantitatif (approximativement 250 œuvres sur 300) et au sens symbolique puisque la plupart des œuvres évoquaient des situations tragiques : famines, tortures, enfermements, grisailles architecturales et urbaines…

Le thème du 7e ciel, thème de la 7e BIEC de Trois-Rivières, était à considérer au second degré, soit avec autant de dérision que de grave ironie.

Mais dans tous les cas, le visiteur aura été frappé par la maîtrise technique de toutes les estampes sans exception. Il faut louer ici l’absolue rigueur des membres du comité de sélection. C’est donc chaque fois un régal pour les yeux que d’observer la minutie des traits, l’interaction des formes, le jeu et les nuances des contrastes. Connaisseurs et simples amateurs ont pu ainsi apprécier la pleine puissance des effets recherchés par les artistes.

Nul ne saurait reprocher à la 7e BIEC de constituer un reflet du monde comme il va, ni aux artistes de traduire à travers leurs œuvres les sentiments qu’ils éprouvent face aux violences, aux injustices, aux oppressions qui cinglent la terre entière.

Sous la direction artistique de Jo Ann Lanneville, les membres de l’équipe de la BIEC n’ont sans doute pas eu beaucoup de mal à regrouper les estampes sélectionnées dans les catégories, Critique sociale, Critique politique, Atmosphère urbaine, Jeux de société (analyse et constat), Histoire humaine (la métamorphose), Immatérialité hybride, Autour du portrait et de l’autoportrait, Perspective de l’objet. Beaucoup de ces sous-thèmes sont très proches les uns des autres et souvent se recoupent. Si la Biennale y gagne une indiscutable unité, c’est au détriment d’une variété qui aurait pu se concrétiser par de franches ruptures de tons ou par des œuvres colorées en plus grand nombre au service de sujets moins grinçants. En définitive, la succession des visions cauchemardesques qui pave un 7e ciel aussi sombre finit par émousser le choc, les sentiments de compassion, d’indignation, voire de répulsion recherchés.

Un brin de fantaisie

L’un des aspects les plus remarquables de la 7e Biennale tient au souci de présenter des œuvres qui témoignent d’innovations. À cet égard, la suite de sérigraphies bifaces d’Aya Imamura (Japon) est le signe d’une délicieuse inventivité. Par exemple, Scopophilia (2010) montre un paysage en noir et blanc qu’un personnage (est-ce l’artiste elle-même ?) s’ingénie à décoller pour faire apparaître, provenant du verso de la feuille (belle surprise !), le haut d’une affiche en couleurs composée de portraits de personnalités variées. La curiosité est irrésistible alors pour le visiteur de jeter un coup d’œil sur l’autre face pour voir si par hasard l’affiche… mais oui, elle est là, et il n’y manque que la partie qui n’est visible qu’au recto.

Bien entendu, la Biennale fait une place de choix aux œuvres qui résultent du croisement des techniques de production traditionnelle d’estampe avec celles provenant de technologies plus récentes : supports comme le Mylar, impression numérique (jet d’encre, laser).

Le palmarès

Le jury de la Biennale a accordé son Grand Prix à Joscelyn Gardner (Ontario) pour Veronica frutescens (Mazerine) – il s’agit du nom d’une fleur dont les concoctions servent à tuer des enfants –, une œuvre qui dénonce les actes de barbarie dont les femmes sont victimes. Birgit Fiedler (Autriche) obtient une mention honorable pour Covered 6, une lithographie qui évoque un enveloppement mais ni aussi volontaire ni aussi ludique que les emballages de Christo. José Medina obtient également une mention honorable pour Transitions V, impression numérique et collagraphie qui annonce un monde qui se lézarde, s’embrume et peut-être disparaît : fine image métaphorique des effets de la pollution. Saskia Jetten (Pays-Bas) a gagné le Prix de la Banque Nationale Groupe financier avec Personnality et Image, deux pièces en tissu formant une installation qui stigmatise le rôle traditionnel dévolu aux femmes. Benoît Perreault (Trois-Rivières) obtient le Prix du Québec pour Apprendre à lire, linogravure qui met en scène des fonctionnaires satisfaits d’eux-mêmes. Le Prix du public a couronné Reti Saks (Estonie), dont les pointes sèches (Outlook, 2009) saisissent une jeune femme échevelée plutôt hyperactive.

José Medina, Transitions V, 2010, Impression numérique et collagraphie, 36 x 27 cm

Quelques coups de cœur

Peut-être retiendra-t-on le nom de Heather Huston (Calgary) pour son traitement des espaces blancs qui met en valeur des configurations architecturales dans des effets de transparences (The Day Can’t Be Like the Night, 2010), offrant ainsi à deviner plus qu’à contempler des villes quasi invisibles au moment où elles ne sont encore que de belles épures. Peut-être retiendra-t-on encore Ji-Xin Song (Chine) et ses Big Birds, superbes abstractions gestuelles transposant l’intempestive urbanisation chinoise. Peut-être retiendra-t-on aussi Noriaki Kondoh (Japon) et ses lithographies en forme de spirales évoquant les cycles de la vie dans quelque paradis comme son Pandora 1 (2010).

Les reproductions de toutes les œuvres exposées figurent dans le catalogue de la Biennale. Ce phénomène assez rare mérite d’être souligné. Cependant, aucune note concernant les artistes ni la moindre explication n’accompagne chaque série d’estampes de ce beau document. Presque toujours, quelques mots sont abso­lument nécessaires pour apprécier les œuvres. À cette réserve près, la 7e BIEC aura, une fois de plus, été révélatrice de grands talents provenant du monde entier. Elle aura constitué aussi une occasion de voir se confirmer le potentiel de renouvellement et d’inventivité d’une technique – l’estampe – qui prouve une fois encore qu’elle représente un pivot de l’expressivité des arts visuels contemporains.

7e BIENNALE INTERNATIONALE D’ESTAMPE CONTEMPORAINE DE TROIS-RIVIÈRES
300 gravures réalisées par 52 artistes provenant de 26 pays
Directrice artistique : Jo Ann Lanneville
Centre d’exposition Raymond-Lasnier
1425, place de l’Hôtel de ville
Galerie d’art du Parc 864, rue des Ursulines
Maison Hertel-de-la Fresnière 802, rue des Ursulines
Ancienne gare ferroviaire 1075, rue Champflour
Du 19 juin au 4 septembre 2011