Au cours des dernières années, différents cas d’appropriation culturelle ont fait les manchettes de médias québécois. Dans les milieux scolaires, les membres du personnel s’interrogent inévitablement sur ce sujet. Prenant acte du phénomène et des enjeux complexes qu’il peut susciter en classe, des conseillers pédagogiques du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys ont travaillé avec des chercheuses du Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité1 afin de mieux l’appréhender. Leur collaboration a permis de développer un atelier à la fois théorique et réflexif sur l’appropriation culturelle en classe d’arts ainsi qu’un guide d’accompagnement2. L’idée est née de contextes relatés par des enseignants des quatre disciplines artistiques qui les amènent à se questionner à ce sujet : quelles précautions faut-il prendre pour éviter de faire de l’appropriation culturelle en classe ? Comment en reconnaître l’existence tout en évitant d’occulter les bienfaits des métissages dans les arts ? Plusieurs avouent ne pas se sentir outillés pour aborder des thématiques pouvant être « sensibles », tandis que d’autres redoutent les reproches ou les accusations dont ils pourraient être la cible.

Dans le système scolaire québécois, l’ouverture à la diversité et la valorisation de celle-ci pour soutenir le bien-être et la réussite des élèves sont prescrites par divers encadrements ministériels. Des travaux de recherche révèlent pourtant que la prise en compte de la diversité ethnoculturelle par le personnel éducatif, de même que la formation reçue par ce dernier sur le sujet, est à géométrie variable. En dehors de l’école, le pluralisme ainsi que les enjeux qui y sont liés polarisent de plus en plus la société québécoise et créent un climat interculturel propice aux controverses. Ces divers éléments contextuels expliquent probablement en partie pourquoi des enseignants d’art commettent des erreurs ou craignent d’en commettre en présentant certaines œuvres ou en employant des styles ou des symboles associés à un groupe social ou à une culture dont ils ne font pas partie.

Par exemple, un enseignant a été accusé d’appropriation culturelle par un parent qui jugeait qu’une activité visant la création de capteurs de rêves avait été réalisée de façon irrespectueuse, au regard de la valeur symbolique que ces objets ont pour des personnes d’origine autochtone. L’appropriation culturelle est souvent comprise comme un « emprunt », par un ou des membres d’un groupe social exerçant une domination à un ou plusieurs égards (par exemple, politique, économique, etc.), d’éléments faisant partie de l’héritage culturel de personnes appartenant à des groupes dits minoritaires. Au-delà de l’emprunt, des représentations caricaturales ou folkloriques peuvent renforcer les stéréotypes, et si le geste d’emprunt est fait sans se soucier de la réelle signification des éléments culturels, les membres de ces groupes minoritaires peuvent se sentir minimisés, voire dévalorisés ou même ridiculisés, surtout si leurs critiques liées à l’appropriation culturelle ne sont pas prises au sérieux. L’appropriation culturelle renvoie alors à une dynamique de pouvoir (rapports de force et d’inégalité) dans laquelle un ou des membres d’un groupe dit dominant emploient les marqueurs culturels de personnes appartenant à un groupe minorisé de manière systémique, au fil du temps, en ne se préoccupant pas du contexte et des impacts liés à ce qui est « emprunté ».

« Tenter d’appréhender le phénomène, les manières dont il peut se manifester ainsi que les enjeux qu’il soulève est la première étape pour éviter de le reproduire. »

La majorité des cas d’appropriation culturelle en classe sont fort probablement le résultat d’une maladresse occasionnée par un manque de compréhension, de curiosité, de sensibilité ou de dialogue de part et d’autre. Tenter d’appréhender le phénomène, les manières dont il peut se manifester ainsi que les enjeux qu’il soulève est la première étape pour éviter de le reproduire. En tant qu’enseignant, on doit ainsi s’assurer de comprendre l’histoire et la signification de l’élément culturel qu’on souhaite « emprunter » à un groupe dont on ne fait pas partie afin que l’activité en classe puisse se dérouler positivement et respectueusement. La deuxième étape demande l’adoption d’une posture d’allié ainsi que d’une démarche critique, mais aussi sensible envers les groupes sociaux marginalisés qui sont les victimes possibles de l’appropriation culturelle. Au-delà du fait d’éprouver de l’empathie pour ceux qui vivent de l’oppression, être une personne alliée signifie croire à l’équité et poser des gestes concrets en ce sens.

En outre, il est nécessaire de différencier les concepts d’appropriation culturelle et de métissage transculturel puisqu’ils ne sont ni synonymes ni interchangeables. Les métissages et les emprunts culturels ont plusieurs bienfaits lorsqu’ils constituent une source d’inspiration et de créativité en classe. Il faut toutefois parvenir à identifier les pratiques ou les comportements que nous pouvons reproduire, mais qui peuvent être irrespectueux. Pour éviter l’appropriation culturelle, on doit être conscient du fait que des pratiques pédagogiques peuvent être marquées par un contexte historique pouvant blesser ou fâcher certaines personnes. Les abus du passé doivent être pris en compte, car la mémoire collective de chaque groupe social ou ethnoculturel est teintée par son histoire.

La reconnaissance des multiples faces de l’appropriation culturelle n’exige pas qu’on proscrive certaines activités proposées en classe d’arts. De plus, il vaut mieux « éviter d’éviter », c’est-à-dire qu’il est préférable de ne pas abandonner des thématiques ou des œuvres par peur de faire l’objet d’accusations. En se renseignant et en s’outillant, il est généralement possible de contourner les écueils liés aux thèmes sensibles3. Si l’on reprend l’exemple cité plus haut, une recherche plus substantielle aurait permis à l’enseignant d’approfondir ses connaissances sur la valeur symbolique des capteurs de rêves et d’en informer les élèves pour que ces derniers comprennent l’importance qui leur est accordée par des cultures autochtones. Le parent mécontent aurait ainsi pu être informé du fait que les élèves n’avaient pas créé des capteurs de rêves uniquement pour leur valeur esthétique, mais qu’ils avaient eu l’opportunité d’en apprendre davantage sur leur signification et sur l’importance d’emprunter de façon respectueuse les éléments culturels d’un groupe dont on ne fait pas partie et dont l’histoire est marquée par l’asymétrie des pouvoirs. Les effets du colonialisme sont nombreux, et l’oppression que vivent actuellement les peuples autochtones au Canada est réelle. Ces sujets doivent être abordés en classe, et c’est ce qu’un travail interdisciplinaire avec les programmes du domaine de l’univers social, par exemple, permet de faire. 

L’équipe est composée de Sivane Hirsch, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de Trois-Rivières ; d’Annie-Claude Piché, enseignante, étudiante à la maîtrise qualifiante et assistante de recherche ; de Julien Lamontagne, sexologue et conseiller pédagogique en éducation à la sexualité, santé et bien-être ; de Marie-Claude Bourgault, conseillère pédagogique pour les quatre arts ; et de Justine Gosselin-Gagné, coordonnatrice du CIPCD et chercheuse en sciences de l’éducation.


Le guide L’appropriation culturelle en arts, rédigé par Sivane Hirsch et Annie-Claude Piché, peut être téléchargé à partir du site internet du Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité, dans la section des « Ressources ».


Pour en savoir plus à ce sujet, consulter le guide pédagogique Vivre ensemble : Aborder des thèmes sensibles avec les élèves, publié sur le site du Centre d’intervention pédagogique en contexte de diversité.