Montréal et cie

À Montréal, la rentrée se décline sous le signe de la collaboration : quatre centres d’artistes de l’édifice Belgo, au centre-ville, recevront le projet Gráfica abierta: Rutas expansivas en la gráfica mexicana. Neuf artistes mexicains exposeront à CIRCA art actuel, à Arprim, centre d’essai en art imprimé, au Centre des arts actuels Skol et à la Galerie B-312 en octobre et novembre. Ce projet est né à la suite d’une exposition de dix artistes québécois au MUNAE, le Musée national de l’estampe de Mexico, en 2015. Des partenariats avec le programme ICI de l’UQAM, qui présente des conférences et des séminaires d’intervenants canadiens et étrangers, et les centres d’artistes L’imprimerie et l’Atelier Circulaire, spécialisés en impression, ainsi qu’un séjour des artistes mexicains à Québec sont aussi prévus.

Le commissaire de l’exposition et directeur du MUNAE, Santiago Pérez Garcí, reconnaissant le dynamisme de l’estampe contemporaine, a choisi les artistes en fonction de l’originalité de leur vision. Les œuvres sur papier ne seront donc pas le seul canal d’expression : la vidéo et l’installation prendront aussi place dans les espaces d’exposition.

Un centre d’artistes ne dispose ni des ressources techniques d’un musée ni de ses capacités financières. C’est pourquoi quatre centres ont coordonné leurs forces, augmentant ainsi les potentialités de chacun d’eux, ce qui a permis de répondre aux exigences du musée mexicain. À la vitalité de l’estampe mexicaine répond celle des centres d’artistes montréalais.

Megan Dickie, Maces, Cabers ans Sceptres (détail) (2016-2018)
Acier, laine, Mylar, soie, résine, perle et hématite 88,9 x 243,8 x 122 cm
© Megan Dickie

Vaste et Vague

Un centre d’artistes en région et un autre dans une grande ville ne vivent évidemment pas la même réalité. Par contre, la nécessité d’établir des partenariats est la même : elle réunit divers acteurs du milieu culturel, des commerçants et les instances locales. Vaste et Vague, à Carleton (Gaspésie) a récemment ouvert un bureau satellite à Barachois (à un jet de pierres de Percé), sis au Magasin général Thompson. Les deux lieux offrent cet automne expositions et activités : à Carleton, la programmation met en valeur des artistes de tout le Québec : la vidéaste et photographe Isabelle Hayeur, de Rawdon, la Famille Plouffe, de Longueuil, et l’artiste installateur Jeffrey Poirier, de Québec.

Le centre collabore aussi avec les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie et planifie déjà la prochaine Biennale Barachois In Situ, un événement de création art nature; la prochaine édition comprendra un volet autochtone en 2020. De plus, des projets sont en préparation tel celui destiné à profiter de la présence des carrières de marbre rose et rouge, comme à Cascapédia ou à Maria, pour créer des œuvres ou réaliser des interventions à partir de ce matériau.

Dans la capitale nationale

À Québec, la grande soirée de rentrée a eu lieu le 7 septembre. Les centres regroupés au sein de la coopérative Méduse, située dans le quartier Saint-Roch, font tous partie du RCAAQ. Parmi ceux-ci, se distingue notamment L’Œil de Poisson, « un incubateur créatif et innovant ». Ce centre cherche à valoriser la pratique commissariale avec une invitation adressée à une commissaire française, Sophie Lapalu, et Le festival de l’inattention (qui a eu lieu la première fin de semaine de septembre). L’expérimentation est au cœur du projet du centre, et cette invitation en est le reflet : les spectateurs ont été invités à déambuler dans les espaces autour de la galerie et à aiguiser leurs perceptions : la commissaire a choisi des œuvres à « faible coefficient artistique », selon l’expression du critique d’art Stephen Wright, au risque d’être peu ou pas du tout visibles. Il s’agit d’un mélange à parts égales d’art et de vie où les certitudes sont remises en question.

Cet automne, la grande galerie de L’Œil de Poisson accueille Megan Dickie, une artiste de Victoria (Colombie-Britannique) et, par la suite, Dominique Sirois, de Montréal. Installation et ensembles sculpturaux sont à l’honneur, sous le thème de l’humour et de l’échec dans le cas de Dickie, et du désir irrépressible de consommation dans la société occidentale pour Sirois.

« Approche novatrice », « décloisonnement », « recherche », « expérimentation » : ce sont des termes qui se trouvent souvent dans les sites Web des centres d’artistes.

Le centre Bang

Basé à Chicoutimi, le centre Bang possède une structure originale qui regroupe deux centres d’artistes, Espace Séquence et Espace Virtuel, ainsi que Point de suspension, la seule librairie agréée spécialisée en arts et culture au Québec. Pour le centre, « l’artiste est un acteur privilégié de l’évolution de la société » et la « réactualisation des langages » est une priorité. Ses collaborations sont multiples : il fait notamment partie du Hub créatif Saguenay–Lac-Saint-Jean; avec le soutien de la députée de Chicoutimi, l’équipe du centre a développé un concours d’entrepreneuriat artis­tique, le projet D’Artagnan-02, qui offre une résidence de recherche-création, de production et une exposition.

À Espace Séquence, une exposition au titre incisif a eu lieu jusqu’au 22 septembre : La reine me doit au moins 10 trillions de dollars, pour commencer. Le collectif autochtone ITWÉ, composé de Caroline Monnet, Sébastien Aubin et Kevin Lee Burton, y présentait ses œuvres, ainsi que trois autres artistes, dont Kent Monkman. Par la suite, Paolo Almario montera dataset, une œuvre numérique élaborée grâce au projet D’Artagnan-02.

Espace Virtuel a retenu deux artistes féminines pour cet automne. Récipiendaire de la bourse de la Fondation J. Armand Bombardier, l’artiste et développeuse Web Véronique Ménard y expose son projet de fin de maîtrise en arts numériques. Quant à Élisabeth Picard, artiste montréalaise chevronnée qui maîtrise remarquablement le tissage de l’attache autobloquante (Ty-Rap®) pour en faire des œuvres protéiformes, elle présente des œuvres récentes.

Résidences d’artistes

Bon nombre de centres offrent des résidences d’artistes, qui accueillent des collaborations internationales. Le projet mexicain des centres montréalais proposera ainsi deux résidences ponctuelles : Perla Krauze et Boris Viskin sont invités à l’Atelier Circulaire et à L’imprimerie pour deux semaines. De plus, cinq des neuf artistes y mèneront des projets in situ.

À Vaste et Vague, quatre résidences de recherche et création sont offertes chaque année, dont une est réservée à un artiste ou à un commissaire de l’extérieur du pays. Un artiste de Gaspésie, Christopher Varady-Szabo, est en résidence de création depuis le printemps et une exposition découlant de ce séjour aura lieu en 2019. Varady-Szabo manie habituellement des matériaux éphémères comme la terre et le bois en s’inspirant des architectures primitives et des techniques de construction artisanales; cette résidence sera l’occasion pour lui d’intégrer une nouvelle matière aux qualités plus durables, la pierre. Le centre planifie d’autres collaborations avec des artistes du Pays Basque et de l’Allemagne.

Bang offre chaque année six résidences de recherche-création dont deux d’envergure inter­nationale; il s’est vu récemment accrédité par le CALQ et reçoit des artistes de Belgique dans le cadre d’un programme d’échanges; un autre a lieu avec la Colombie. Cet automne, le photographe belge Philippe Braquenier passera deux mois à Chicoutimi : il explore des phénomènes sociétaux en variant les genres – portraits, paysages, natures mortes.

Ce qui précède n’est qu’une partie de la riche programmation prévue cet automne par les centres d’artistes. Le portrait qui émerge de ce coup de sonde reflète leur exceptionnelle vitalité, leur volonté de décloisonner les disciplines, leur intention d’établir des ententes de collaborations internationales et leur souci de mobiliser leurs communautés respectives.

Qu’est-ce qu’un centre d’artistes ?

Un centre d’artistes autogéré n’est pas uniquement réservé aux artistes qui exercent leurs activités dans le strict champ des arts visuels, bien que ceux-ci forment la majorité des membres du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ). C’est aussi un lieu ouvert aux arts numériques, à la vidéo, et même au film. Sa caractéristique principale est d’être géré par des artistes : « Les centres d’artistes autogérés sont des associations sans but lucratif, dirigés par un conseil d’administration comptant une majorité d’artistes, dont l’activité principale est de favoriser la recherche, la diffusion et la production d’œuvres du domaine des arts visuels, des arts médiatiques et des arts interdisciplinaires1 ». Les universités et les cégeps forment chaque année des cohortes de nouveaux arrivants dans le milieu des arts visuels. Les galeries privées ne suffisent pas à diffuser leur travail. De fait, des artistes aujourd’hui reconnus ont commencé à exposer dans des centres d’artistes : Marc Séguin, Michel de Broin, Raymonde April… La vente d’œuvres ne constituant pas leur principale source de revenu, les centres d’artistes peuvent se permettre de diffuser des œuvres dématérialisées, conceptuelles ou éphémères et de prendre des risques en parrainant le travail de jeunes artistes.

(1) Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec. [En ligne], http://rcaaq.org/