Fernande Saint-Martin : décès d’une pionnière
La théoricienne de l’art Fernande Saint-Martin, qui a enseigné à l’UQAM pendant près de deux décennies, s’est éteinte à l’âge de 92 ans.
Figure incontournable de l’art contemporain au Québec, Fernande Saint-Martin est décédée le 11 décembre dernier à l’âge de 92 ans. Journaliste, militante féministe, galériste (elle a fondé avec son mari, le peintre Guido Molinari, la Galerie L’Actuelle, dont la brève existence, de 1955 à 1957, sera marquante dans le déploiement de l’art non figuratif au Québec) et ex-directrice du Musée d’art contemporain de Montréal (1972-1977), la théoricienne de l’art avait déjà un riche parcours derrière elle lorsqu’elle s’est jointe au Département d’histoire de l’art de l’UQAM, en 1979.
D’abord journaliste à La Presse, dans les années 1950, Fernande Saint-Martin met sur pied l’édition française du magazine Châtelaine en 1960. Elle dirigera le magazine jusqu’en 1972, y menant plusieurs luttes en faveur des droits des femmes. Nommée directrice du Musée d’art contemporain, elle a le mandat de restructurer l’institution afin d’en accroître le rayonnement et de l’ouvrir à toutes les tendances de l’art actuel. En parallèle, elle retourne aux études et obtient un doctorat en lettres de l’Université McGill. C’est ainsi qu’après un bref passage à l’Université Laval, elle entre à l’UQAM comme professeure, où elle connaîtra une carrière très active, axée sur la recherche et l’enseignement, en plus d’agir comme critique d’art et de poésie, collaborant à de nombreuses publications, dont Vie des Arts, Les Herbes rouges, Art international et Liberté.
Elle-même poète à ses heures, elle s’intéresse aux courants artistiques contemporains, à la sémiologie, aux explorations perceptuelles de l’art visuel, à l’expérience non verbale. Elle publie de nombreux essais et analyses, dont La littérature et le non-verbal (1958), La femme et la société cléricale (1967), Structures de l’espace pictural (1968), Sémiologie du langage visuel (1987) et L’immersion dans l’art. Comment donner sens aux œuvres de 7 artistes : le Maître de Flémallo, O. Leduc, Magritte, Mondrian, Lichtenstein, Rothko, Molinari (2010).
En 1989, elle reçoit, dans la salle des Boiseries du pavillon Judith-Jasmin, le prestigieux prix Molson du Conseil des arts du Canada, qui récompense une carrière en sciences humaines. Elle déclare, selon le journal L’UQAM de l’époque (4 décembre 1989), que ce prix l’encourage à poursuivre dans la voie de l’art créateur, « avec les frissons et les risques que cela comporte ».
Elle prend sa retraite de l’UQAM en septembre 1996 pour se consacrer principalement à l’écriture, mais elle demeurera associée au Département d’histoire de l’art. Lors d’un hommage qui lui est rendu en janvier 1997, elle dit s’ennuyer du contact avec les étudiants, « une drogue », et heureuse d’avoir œuvré au programme de doctorat en sémiologie. « Il y a en recherche autant de création qu’en art, soutenait-elle alors. C’est la possibilité de proposer quelque chose que les gens n’ont jamais vu ou entendu. Faire de la recherche, c’est se mettre en contradiction avec ce qui nous entoure et avec les orthodoxies qui veulent se maintenir. Mais c’est aussi choisir le dialogue… » (L’UQAM, 13 janvier 1997).
« Fernande Saint-Martin a été une grande inspiratrice pour plusieurs générations d’historiens et historiennes de l’art et pour moi-même en particulier, alors qu’elle a été ma professeure et directrice de maîtrise à l’Université Laval, confie Louise Déry, directrice de la Galerie de l’UQAM et professeure associée au Département d’histoire de l’art. Elle a favorisé ma découverte de l’art contemporain et actuel, a fait éclore mon approche de l’œuvre dans son lien au regard, donc à l’exposition et au commissariat, en plus d’orienter ma découverte du féminisme. Elle nous laisse en héritage une œuvre théorique d’une grande rigueur et d’une extrême pertinence et le souvenir d’une femme de caractère aux exigences impressionnantes, au sens critique bien aiguisé, à l’humour certain et à l’affection sans mesure pour les jeunes qu’elle soutenait de nombreuses manières. »
Fernande Saint-Martin était membre de l’Académie des lettres du Québec (1974), de la Société royale du Canada (1982), de l’Ordre du Canada (1988), et elle avait également obtenu le prix André-Laurendeau en sciences humaines de l’Acfas (1988). l Marie-Claude Bourdon
Ce texte a été publié initialement sur Actualités UQAM.