Gabrielle Goyette, portrait d’une artiste inconnue
À travers une recherche menée fin 2019 à l’Université de Montréal et au Musée des beaux-arts de Montréal, j’ai découvert Gabrielle Goyette, à la fois femme de peintre – épouse du célèbre Marc-Aurèle Fortin1 – et peintre femme.
Alors que son mari rayonne parmi les artistes québécois, Gabrielle Goyette demeure une illustre inconnue. Seuls des spécialistes de Marc-Aurèle Fortin la connaissent, et ce n’est qu’au prisme de ce dernier que l’on peut récolter quelques informations sur elle.
Épouse de Marc-Aurèle Fortin
Nous savons qu’elle s’est mariée avec le peintre, alors sexagénaire, le 3 octobre 19492. Ce mariage a suivi l’installation de l’artiste la même année à la pension Goyette, rue Saint-Urbain à Montréal, tenue par la mère de Goyette. Le peintre, déjà célèbre, y a emménagé après que sa propre mère eut quitté leur demeure de Sainte-Rose pour une résidence de retraités. On peut penser que les deux artistes se connaissaient déjà, puisque des sources les présentent comme des amis de longue date. Dans ce cas, l’arrivée du peintre à la pension n’est probablement pas un hasard. Après le décès de madame Goyette, ils se seraient mariés précipitamment, d’après le biographe Jacques Lamarche, pour « trouver une solution morale à cette cohabitation ». Le jour même du mariage, le couple aurait choisi les premiers venus pour leur servir de témoins.
Une chronologie réalisée pour l’ancien Musée Marc-Aurèle Fortin3 nous apprend que le couple se serait séparé au bout de quelques mois, Fortin préférant rester à la campagne et Goyette à Montréal. Quelques éléments portent à croire que, malgré tout, ils sont restés proches, contrairement à ce que la littérature a pu laisser entendre. En voyage à Saint-Siméon en 1953, le peintre a envoyé des cartes postales à sa femme signées « ton mari Marc-Aurèle ». Des formules affectueuses s’y trouvent, telles que « Je m’ennuie souvent de toi, prends soin de toi4. » Jusqu’à sa mort, Gabrielle Goyette aurait rendu ponctuellement visite à Fortin, qui a passé les dernières années de sa vie dans un sanatorium à Macamic.
Une lettre du 12 avril 1955, conservée dans les archives du Musée des beaux-arts de Montréal, nous apprend par ailleurs qu’il avait confié un véritable rôle de gestionnaire à Goyette, lui permettant de vendre et d’acheter ses œuvres à sa convenance. Très peu documentée, la relation unissant ce couple s’avère difficile à saisir : monsieur Jean-Pierre Valentin5 – qui, en 1975, a acheté la Galerie L’Art français, celle qui a représenté Marc-Aurèle Fortin de son vivant –, m’a rapporté que les fondateurs de la Galerie et amis des Fortin qualifiaient la relation du couple « d’étrange » et « d’indéfinissable ». Monsieur Valentin émet l’hypothèse que Gabrielle Goyette était davantage un rempart contre la solitude et une amie pour le peintre qu’une véritable compagne.
Leur proximité indéniable malgré tout, paraît tangible dans l’œuvre de Goyette, jusqu’alors ignorée du grand public. En effet, les aquarelles et les tableaux de la peintre nous renseignent, à certains égards, sur Fortin et leur lien mutuel.
La femme artiste
À partir de ces recherches, nous avons effectivement pu découvrir que Gabrielle Goyette avait produit un nombre important d’œuvres : des huiles sur carton ou panneau, des aquarelles, des dessins aux techniques mixtes, etc. Monsieur Valentin, qui a recensé durant des décennies les œuvres de Fortin dans le cadre d’un projet de catalogue raisonné, a répertorié près de cent cinquante œuvres signées par Goyette ou lui étant attribuées avec certitude. Une grande partie de ces œuvres circulaient sur le marché de l’art, tandis que quatre-vingt-neuf de celles-ci font partie de la collection éducative du Musée des beaux-arts de Montréal, où elles sont conservées en réserve. Leur datation (vers 1949) suggère qu’elle aurait appris à peindre au contact de Marc-Aurèle Fortin, mais rien ne l’atteste.
Gabrielle Goyette a été l’épouse du plus grand peintre de paysages québécois, certes, mais elle était également une passionnée de peinture.
Elle a réalisé essentiellement des aquarelles et des panneaux peints illustrant des villages québécois avec des maisons entourées de nature, reprenant ainsi le thème ayant fait la célébrité de Marc-Aurèle Fortin. Probablement admirative, elle cite parfois directement certaines des œuvres de son mari : mes discussions avec monsieur Valentin nous ont permis de découvrir par exemple qu’une aquarelle de Gabrielle Goyette rendait explicitement hommage à l’huile Les bouleaux (vers 1948) de Fortin, en vente à la Galerie.
Parmi les portraits se trouve également une série de visages féminins. Pour monsieur Valentin, ces œuvres évoquent des portraits de jeunesse de Marc-Aurèle Fortin datés des années 1910, car lorsqu’il fréquentait Goyette dans les années 1950, il aurait retravaillé ces œuvres. Cette dernière pourrait en avoir été témoin. Toutefois, les dizaines de portraits font songer à une expérimentation plus personnelle : l’artiste s’est essayée tour à tour au portrait de face ou de profil, à des séries de visages bleus esquissés à l’aquarelle ou à des dessins très détaillés au fusain.
Le nom de Gabrielle Goyette a aussi été associé, sans preuve aucune, à la production de faux tableaux de Marc-Aurèle Fortin. Bien que rien n’étaye cette théorie, une hypothèse suggère toutefois qu’elle aurait pu réaliser des œuvres à quatre mains avec son mari. En effet, le peintre aurait parfois ajouté sa touche personnelle et terminé des œuvres de son épouse.
Gabrielle Goyette a été l’épouse du plus grand peintre de paysages québécois, certes, mais elle était également une passionnée de peinture. Difficilement indissociable du travail de son mari aux premiers abords, son œuvre reste mystérieuse. Les récits de personnes ayant connu la peintre nous permettraient d’acquérir une compréhension plus fine de son travail et de sa personnalité. Seuls ces témoignages permettraient de réellement découvrir Gabrielle Goyette et de valoriser ses créations dans l’histoire de l’art québécois.
(1) Marc-Aurèle Fortin (1888-1970) est un peintre de paysages québécois très prolifique dont de nombreuses œuvres se trouvent au Musée des beaux-arts de Montréal.
(2) Jacques Lamarche (1997), Marc-Aurèle Fortin, Montréal, Lidec, p. 43.
(3) Archives MBAM, Fonds du Musée Marc-Aurèle Fortin : P43/D/8.2 – communiqué de presse sur le transfert du Musée Marc-Aurèle Fortin et chronologie de la vie du peintre.
(4) Archives MBAM, Fonds Marc-Aurèle Fortin : P44/A/3 – Correspondance générale.
(5) Jean-Pierre Valentin (1949-2019) était le propriétaire de la Galerie Valentin, fondée en 1934 par Lucienne et Louis Lange sous le nom de « Galerie L’Art français », rue Laurier à Montréal. Il était un spécialiste de l’artiste Marc-Aurèle Fortin. Son expertise sur l’artiste était sollicitée par les musées et des professionnels du marché de l’art. Monsieur Valentin est décédé en décembre 2019. Par l’entremise du présent article, je souhaite lui rendre hommage.