Dans le contexte actuel où le divertissement et les médias se trouvent régis par les lois de l’économie de l’attention, la production d’un jeu vidéo éducatif sachant capter l’intérêt des jeunes de 9 à 12 ans semble être un défi aussi délicat que pertinent à relever.

Menée en collaboration avec le studio de design interactif Dpt. et en consultation avec élèves, professeurs et professionnels de la médiation, l’initiative de MOMENTA | Biennale de l’image, dont l’objectif est de favoriser la rencontre du jeune public avec les arts visuels, présente un intérêt évident.

Le but est de développer chez les jeunes qui s’adonneront à ce jeu une nouvelle perception de la visite au musée et, on l’espère, de susciter une anticipation positive de la rencontre avec l’œuvre.

L’interface du jeu en ligne propose aux jeunes une déambulation au cœur de La Galerie des mystères, un musée virtuel intégrant des œuvres de douze artistes contemporains, créées entre 2010 et 2018. Si elles n’ont pas été exécutées spécialement pour l’occasion, les œuvres s’inscrivent toutes dans des pratiques élargies de l’image et elles présentent aux joueurs une variété d’approches et de techniques : photographie documentaire, installation en studio, documentation de performance, abstraction, collage et retouche numérique. Au cours d’une partie d’environ trente minutes, nous croisons ainsi le travail de Dominique Blain, Raphaëlle de Groot, Chun Hua Catherine Dong, Jinyoung Kim, Emmanuelle Léonard, Caroline Monnet, Nadia Myre, Juan Ortiz-Apuy, Karine Payette, Celia Perrin Sidarous, Yann Pocreau et zipertatou. Cette sélection éclairée se retrouve sur les murs d’un lieu à l’allure de musée d’art contemporain suspendu dans un temps incertain, situé au cœur d’une forêt ou à proximité d’une ville où la nature aurait repris ses droits. Afin de retrouver l’appareil photo égaré sur place par notre ami Nour, nous aurons à relever quatre types de défis durant notre quête; pour ce faire, il faudra explorer les lieux sur le mode du first-person shooter1, devenu ici first-person spectator. Chaque épreuve demande un temps d’observation appréciable, qui dépasse celui que l’on accorde le plus souvent aux œuvres dans les musées. Nous sommes amenés à nommer différents éléments apparaissant dans les images, puis à décrire celles-ci selon les émotions qu’elles provoquent à l’aide de visages types, puis de manière plus libre au moyen d’adjectifs, dans une approche de médiation à la fois sensible et analytique. La chambre noire qui s’ouvre à nous après une série de bonnes réponses constitue une sympathique référence à la photographie analogique, au cœur d’une application numérique : elle contient des bacs de développement révélant des photographies anciennes, réalisées notamment par Lida Moser, Conrad Poirier ou le studio Notman. Une fois la quête terminée, nous avons le choix de retourner passer du temps avec les œuvres croisées pour profiter des commentaires audio et textuels des artistes sur leur pratique.

S’il existe bien sûr des artistes utilisant directement des aspects du jeu vidéo dans leur travail et explorant de nouveaux modes de présentation — on peut penser à la réalité virtuelle ou augmentée ainsi qu’aux œuvres en ligne —, d’autres productions aux formes plus classiques peuvent tirer parti d’outils de médiation innovants. Il ne s’agit pas ici de rivaliser avec les productions vidéoludiques à grand déploiement ni de remplacer l’inter­action du jeune public avec l’exposition, mais bien de proposer un jeu à l’assise pédagogique rigoureuse et au contenu artistique de qualité. Le but est de développer chez les jeunes qui s’adonneront à ce jeu une nouvelle perception de la visite au musée et, on l’espère, de susciter une anticipation positive de la rencontre avec l’œuvre. L’application est d’ailleurs accompagnée d’un guide pédagogique et d’un cahier d’élève à utiliser en classe, en préparation d’une visite. On imagine que cette plateforme pourrait bénéficier ultérieurement de l’intégration d’une composante sociale menant au partage des expériences; de même, sa structure ouverte nous permet d’anticiper l’ajout de nouvelles œuvres et d’espaces d’expo­sition qui accroîtront encore les possibilités de La Galerie des mystères.

(1) Le terme anglais first-person shooter désigne en français un jeu de tir en vue subjective (aussi appelé « jeu de tir à la première personne »), dans lequel « [l]e point de vue du jeu permet au joueur de voir [la scène] comme s’il [en] était le héros. La caméra virtuelle cadre et se déplace comme si le joueur était à la place du personnage (qu’il ne voit plus). L’image vue par le joueur est en fait une simulation de ce que voit le personnage. La vue subjective caractérisant ce type de jeu renforce l’immersion ». (Définition tirée du Grand dictionnaire terminologique)

La 16e édition de MOMENTA, La vie des choses, aura lieu du 5 septembre au 13 octobre 2019.