Lors de la mise sur pied de la première Triennale québécoise en 2009, l’ex-directeur du Musée d’art contemporain de Montréal, Marc Mayer, souhaitait que l’événement puisse se perpétuer, se développer et progresser. La première édition aura servi d’incubateur et jeté les bases d’une manifestation destinée à s’inscrire, selon lui, dans une tradition. À cet égard, la Triennale québécoise 2011 poursuit avec succès le déploiement d’un travail muséologique de premier plan, stimulant à la fois la créativité et la compréhension des arts actuels au Québec.

Chaque triennale a opté pour des stratégies différentes. Les œuvres présentées lors de la première manifestation reposaient sur les productions d’une génération montante d’artistes déjà très actifs et remarqués dans le milieu, comme David Altmedj, Michel De Broin, Isabelle Hayeur. Le Musée venait en quelque sorte sanctionner des travaux déjà appréciés pour leur originalité et qui marquaient l’art du moment. Dans ce contexte précis, les choix artistiques des conservateurs du Musée ont été judicieux. Pour la deuxième triennale, la position adoptée se démarque fondamentalement de la première édition. D’essence plus expérimentale que son aînée, cette manifestation mise sur la résurgence de modes de production artistique majoritairement adoptés par des jeunes se rattachant à des formes expressives éprouvées proches de l’interaction, principalement la performance, l’art relationnel et l’installation. Bien que différents, ces genres s’ordonnent autour d’un même paradigme, à savoir le geste performatif. Cette particularité caractérise, selon les commissaires, une tendance dominante qui alimente l’actualité des arts visuels au moment où s’amorce la deuxième décennie du XXIe siècle.

Selon la conservatrice en chef, Marie Fraser, la notion de performance doit être entendue dans un sens large ; elle englobe les œuvres qui dépendent d’une manière ou d’une autre d’un geste ou d’une action de l’artiste, qu’il soit apparent ou simplement suggéré. Ainsi, la construction d’espaces sonores (Jean-Pierre Aubé, Steve Bates) ou l’élaboration de toute œuvre qui exige un travail de transformation comme, par exemple, les installations de type architectural (Alexandre David) partagent un grand dénominateur commun : celui de la performativité. S’ajoutent aussi les paramètres du site où est édifiée l’œuvre, site qui concourt à son dynamisme et à sa réception auprès des spectateurs.

Un laboratoire de recherche

En s’appuyant sur le caractère ouvert du travail de création artistique, la Triennale québécoise 2011 convie le spectateur à vivre des expériences inédites. Certes, des propositions se distinguent plus que d’autres. C’est le cas de l’installation in situ de Jim Holyoak et de Matt Shane intitulée Quagmire. Les grands dessins tapissés sur les murs d’un espace fermé invitent le visiteur à investir de façon immersive des environnements à la fois familiers et insolites. Ce qui est particulièrement réussi, c’est l’exécution d’ensemble où les jeux de perspective créent un fort effet visuel. Du côté de la vidéo, Emmanuelle Léonard montre comment des adolescentes invitées à donner leur définition du beau et du laid en art éprouvent beaucoup de difficulté à s’exprimer. Cette réalisation vidéographique, proche du documentaire social, illustre les multiples attitudes et comportements humains, allant de l’inhibition à l’affirmation. Quant à Claudie Gagnon, ses tableaux vivants, reconstituant les scènes où l’on reconnaît notamment des peintures d’Otto Dix, El Greco, Hopper ou Velasquez, attestent de sa maîtrise du cadrage, du montage cinématographique et de la prise de vue. Pour sa part, Thomas Kneubühler n’hésite pas à présenter des paysages qu’il photographie sans complaisance, défigurés qu’ils sont par des poids lourds, amputés par des installations industrielles. Ses vues impressionnantes témoignent avec éloquence de l’ampleur actuelle du phénomène.

Une activité muséologique élargie

Les œuvres présentées dans les salles du Musée ne constituent qu’un aspect de la manifestation. Signe des temps, la programmation de performances a pris de l’ampleur. Composée de huit productions, cette section incarne, selon la directrice Paulette Gagnon, l’esprit rassembleur de la Triennale. Attirant un jeune public, les propositions portent notamment sur l’art sonore, la recherche musicale et le jeu théâtral.

Autre innovation : la collaboration avec la Place des Arts et le partenariat avec le Quartier des spectacles. En montrant l’œuvre de Lynne Marsh dans le nouvel Espace culturel Georges-Émile-Lapalme et celle de Rafael Lozano- Hemmer sur la place des Festivals, le MACM a élargi sa présence et son rayonnement. En tirant avantage des espaces disponibles dans son environnement immédiat, l’institution se positionne comme un acteur culturel majeur au même titre que ses partenaires.

Sur un plan sociologique, il est frappant de constater que parmi la cinquantaine d’artistes sélectionnés, plus de la moitié sont nés hors Québec. Ils proviennent principalement du Canada anglais, mais aussi d’Europe et des États-Unis. Plusieurs diront que le Québec, et en particulier Montréal, attire des artistes d’ailleurs, et pas nécessairement parce que le coût de la vie y est moins cher. Les activités dans la métropole de deux universités dotées d’importants départements d’arts visuels, l’une anglophone et l’autre francophone, tout comme les projets de résidence qu’animent de nombreux centres d’artistes sur le territoire québécois, contribuent à vitaliser la créativité artistique. Son cosmopolitisme est l’un des aspects remarquables de l’édition 2011 de la Triennale.

Un imposant catalogue produit par les conservateurs et des collaborateurs invités accompagne les expositions et les diverses prestations de la Triennale 2011. Les différents essais qui le composent justifient sur le plan théorique les choix esthétiques des conser­vateurs et rendent compte des tendances observées dans l’évolution récente de l’art au Québec. Cependant, les textes de présentation des œuvres des artistes sont extrêmement sommaires : cinq à six lignes, pas toujours très claires. La production d’un glossaire à la fin de l’ouvrage s’avère une excellente initiative, notamment pour son caractère didactique. La prochaine triennale aura lieu en 2014. Évidemment, d’autres enjeux à la fois théoriques, esthétiques et historiques conditionneront le choix d’autres types d’œuvres. L’important est de concevoir et de produire un événement d’envergure où l’ensemble de ces trois éléments s’articule de façon cohérente. En ce sens, la Triennale québécoise 2011 a été à la hauteur des attentes.


LA TRIENNALE QUÉBÉCOISE 2011 LE TRAVAIL QUI NOUS ATTEND
Musée d’art contemporain de Montréal 185, rue Sainte-Catherine Ouest Montréal Tél. : 514 847-6226 www.macm.qc.ca
Du 6 octobre 2011 au 3 janvier 2012

Artistes présents: 2boys.tv, Numa Amun, Jean-Pierre Aubé, Magali Babin, Dean Baldwin, Steve Bates, Lorna Bauer, Sylvain Baumann et Florine Leoni, Mathieu Beauséjour, Sophie Bélair Clément, Matthew Biederman, Olivia Boudreau, Jacynthe Carrier, Marie-Andrée Cormier, Sylvie Cotton, Alexandre David, Jessica Eaton, Grier Edmundson, Julie Favreau, Claudie Gagnon, Massimo Guerrera, Tim Hecker, Nelson Henricks, Jim Holyoak et Matt Shane, Mark Igloliorte, Chris Kline, Thomas Kneubühler, Valérie Kolakis, Stéphane La Rue, Fabienne Lasserre, Mathieu Latulipe, Frédéric Lavoie, François Lemieux, Karl Lemieux, Emmanuelle Léonard, Rafael Lozano-Hemmer, Lynne Marsh, Thérèse Mastroiacovo, jake moore, François Morelli, L’orchestre d’hommes-orchestres, Dominique Pétrin et Georges Rebboh, PME-ART, Séripop, Charles Stankievech, Justin Stephens, Martin Tétrault, [The User], Ève K. Tremblay, Myriam Yates