La découverte d’un Caravage perdu est un événement exceptionnel. L’homme et l’artiste fascinent.

Si la légende en a fait un peintre maudit, l’histoire retient qu’il est un précurseur de génie, à la tête d’une véritable révolution picturale entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, mettant en scène le clair-obscur. Il n’existe dans le monde que 68 tableaux qui lui sont attribués. Du moins, c’est que l’on pensait jusqu’à la trouvaille d’une 69e toile. L’aventure de la découverte est à l’image du peintre : mythique et légendaire. Mais la démarche qui l’a accompagnée, elle, est rigoureusement scientifique, à l’instar de celle déployée par les grandes institutions muséologiques lors de rétrospectives majeures.

Tout commence en 2014 par une fuite d’eau dans un grenier à Toulouse. En déplaçant du mobilier, les propriétaires mettent la main sur une toile ancienne. Ils font alors appel à Me Marc Labarbe, commissaire-priseur de l’Hôtel des ventes Saint-Aubin à Toulouse, pour expertiser le tableau et le mettre en vente. En dépoussiérant une partie de la toile, Marc Labarbe est convaincu d’avoir affaire à une œuvre d’un peintre caravagesque. Pour en avoir le cœur net, il a recours à Me Eric Turquin, expert en titre du Cabinet Turquin à Paris. Me Turquin, entouré de ses collabo­rateurs, également experts en tableaux, et de Jean-Pierre Cuzin, ancien conservateur en chef du département des peintures du Louvre, identifie l’œuvre comme étant l’original perdu de Judith et Holopherne de Caravage, peint autour de 1607. À Naples, il existe une copie de ce tableau par Louis Finson, contemporain de l’artiste et marchand.

Tout est mis en œuvre pour poursuivre l’inves­tigation. Nettoyage, restauration, radiographies, examen au Centre de recherche et de restau­ration des musées de France, confrontation avec d’autres œuvres de Caravage et de Finson, colloque à huis clos de spécialistes au Louvre.

Pendant cinq ans, de 2014 à 2019, la toile fait l’objet d’une démarche exemplaire sur le plan de la recherche historique et scientifique, réunissant les plus grands spécialistes du Caravage et de la peinture italienne. L’authentification s’appuie sur l’analyse historique, stylistique, iconographique et scientifique de l’œuvre. Les avis divergent, mais la majorité reconnaît la main du maître, assez pour que la toile soit retenue trente mois par le ministère français de la Culture sur le territoire national. Tout est mis en œuvre pour poursuivre l’inves­tigation. Nettoyage, restauration, radiographies, examen au Centre de recherche et de restau­ration des musées de France, confrontation avec d’autres œuvres de Caravage et de Finson, colloque à huis clos de spécialistes au Louvre. Le public n’est pas en reste : communications dans les médias, exposition à la Pinacothèque de Brera autour de la question de l’attribution, expositions en galerie à Paris, à Londres et à New York, trois grands pôles du marché de l’art. Mais aussi à Toulouse chez Labarbe, où tout a commencé.

L’enjeu financier est de taille. Un tableau d’un peintre caravagesque irait chercher un million d’euros (environ 1,4 M$), tandis qu’un authentique Caravage, dans les 100 à 150 millions d’euros (de 146 M$ à 219,1 M$). Mais l’investissement de temps et d’argent, la mul­tiplication des démarches, la rigueur et la profondeur démontrées à chacune des étapes, le partage des connaissances entre experts et avec le public, dépassent largement ce qu’on pourrait attendre d’une opération de vente et de marketing par un hôtel des ventes. Ainsi, les résultats des recherches sont publiés dans un catalogue de vente digne d’une publication scientifique. Un site Internet remarquable, thetoulousecaravaggio.com, est créé. Entretemps, en raison du manque de financement ou de l’expression de réserves quant à l’authentification, le gouvernement français lève l’arrêt du certificat d’exportation. La toile poursuit son voyage en Europe et en Amérique. La circulation se termine à Toulouse à l’Hôtel des ventes Saint-Aubin, avant la tenue des enchères à la Halle aux Grains. Coup de théâtre ! À 48 heures du début des enchères, l’encan est annulé. Le tableau est acheté de gré à gré par le richissime collectionneur américain James Tomilson Hill III, membre du conseil d’administration du Metropolitan Museum of Art de New York.


Nous revenons sur cette incroyable odyssée avec Me Marc Labarbe.

Danielle Legentil – Plus qu’une exposition, la présentation de l’œuvre dans vos murs était un événement : expérience de réalité virtuelle, projection d’entrevues, rencontre d’historiens d’art et, bien sûr, mise en scène du tableau. Et ce gratuitement.

Marc Labarbe – Je devais bien cela à Toulouse. C’est ma reconnaissance à l’endroit de la clientèle qui m’accompagne depuis plus de 20 ans. Ce fut un grand succès. En six jours, plus de 6 500 personnes sont venues au rendez-vous, plusieurs me partageant leur enthousiasme et leur émotion.

Cinq ans de recherche et d’expertise, de communication et de diffusion, comment s’est financée l’opération ?

C’est avant tout une fascination commune pour Caravage. Sans cette passion, nous n’aurions pu affronter les multiples dédales d’une pareille odyssée. Financièrement, le Cabinet Turquin et ma firme avons investi de nos poches deux millions d’euros (2,9 M$). Pour ma part, c’est la vente, en 2011, d’une peinture impériale chinoise de Qianlong qui m’a permis de soutenir l’aventure.

Et où en est-on aujourd’hui ?

Pour le moment, l’œuvre est en cours de restauration. La peinture avait été rentoilée au cours des siècles. Nous n’avions pas osé y toucher, mais les Américains l’ont désentoilée et, ce faisant, ils ont trouvé des inscriptions à l’endos de la toile originale, identifiant le nom du propriétaire au début du XIXe siècle. Jusqu’à maintenant, l’historique du tableau pouvait être retracé grâce à quatre documents d’archives où il en était fait mention. La trace se perdait en 1619. Grâce à ces inscriptions, nous pensons que nous pourrons rétablir l’intervalle manquant !