Les métiers d’art, au fil des récentes décennies, ont connu une véritable mutation. Les disciplines liées à ce champ d’activité sont animées et revitalisées par l’apport créatif de jeunes artisans et artistes. L’exposition Les traversiers des arts en donne un aperçu convaincant.

Voilà maintenant dix ans que la petite ville de Brouage, située dans le sud-ouest de la France, invite chaque été des jeunes créateurs québécois œuvrant dans les métiers d’art contemporains à présenter leur travail aux côtés de leurs homo­logues français, au cours d’une exposition intitulée Les traversiers des arts. Organisé par le Conseil des métiers d’art du Québec (CMAQ) et le Syndicat mixte de Brouage (France)1, ce rendez-vous estival est devenu, au fil du temps, une vitrine importante. Pour des jeunes en début de carrière (les candidats doivent être âgés de 18 à 35 ans), cet événement offre une bonne occasion de parti­ciper à une première exposition à l’étranger et d’élargir leurs horizons et leur réseau de contacts. Pour les visiteurs, voici offerte la chance de découvrir des talents émergents, mais surtout de mesurer la richesse et la vitalité de la nouvelle génération des créateurs dans le domaine des métiers d’art. Ceux-ci, qui regroupent aussi bien le travail du verre que du bois, de la céramique, du cuir et des peaux, du papier, du textile, des métaux et d’autres matériaux, ne cessent de se réinventer et réussissent, par un savant mélange de techniques traditionnelles et de préoccupations contemporaines, à repousser les limites des genres et à intégrer les pratiques d’« artistes » et d’« artisans ».

Katty Ouellette Vous n’êtes pas ici, 2010 Céramique, fil de lin, papier sur bois 30,5 x 30,5 cm Crédit photo : Kathy Ouellette SODRAC

Un rendez-vous avec l’histoire

À première vue, le choix de la ville de Brouage peut paraître curieux pour l’organi­sation de ce genre d’événement. Situé à l’écart des grands centres, le lieu ne semble pas être le mieux placé pour offrir une réelle visibilité aux exposants. Pourtant, bien que la commune soit peu peuplée, elle possède une riche histoire et une longue tradition liée aux métiers d’art. Ancien port et haut lieu du commerce du sel, puis garnison lors des guerres de religion, la ville a été laissée à l’abandon au XIXe siècle. Depuis quelque temps, de grands efforts ont été entrepris pour revaloriser son héritage. Le centre de Brouage a été réhabilité et les anciens bâtiments restaurés pour faire place à des salles d’exposition.

Exposer à Brouage revêt un caractère symbolique. D’une part, Les traversiers des arts met en perspective les liens culturels entre le Québec et la France, d’autre part, elle ose aborder les préoccupations purement contemporaines des jeunes artistes et artisans.

Pour un jeune artisan en début de carrière, exposer dans cette localité revient à s’inscrire dans le sillage d’une certaine manière de faire. C’est encore plus vrai pour les Québécois pour qui cette destination, lieu de naissance de Samuel de Champlain, présente une valeur historique particulière. Selon Bruno Andrus, historien de l’art et souffleur de verre, qui a déjà participé aux Traversiers des arts, exposer à Brouage revêt un caractère symbolique important. « Les métiers d’art au Québec se sont développés dans le contexte de la Révolution tranquille, affirme-t-il. Dans un désir de se créer une continuité culturelle, matérialisée par le développement des pratiques en métiers d’art, la France est redevenue la mère patrie où puisent nos racines. » En encourageant la « relève » à participer à ce genre d’exposition, le CMAQ et ses partenaires cherchent non seulement à promouvoir les métiers d’art québécois en France, mais encore à consolider les liens et la coopération entre artistes et artisans des deux côtés de l’Atlantique. Ceux-ci profitent de cet échange de connaissances pour enrichir leur propre discipline. « La formation et l’approche philosophique par rapport aux métiers d’art sont différentes en Europe, précise Bruno Andrus. Cette expérience permet aux artistes et artisans québécois de découvrir leur métier sous une nouvelle lumière et de réagir contre le “cloisonnement” qui caractérise, malheureusement trop souvent, l’enseignement des métiers d’art au Québec. »

Mélanie Denis God is alive, 2008 Argent .925, laiton, verre, acier rouillé, chaine tressée en argent .925 et matériaux recyclés 7 x 2 cm Crédit photo : Michel Gauvin

Créativité et innovation

Au-delà de l’importance historique du lieu, une autre caractéristique de l’exposition tient à son côté novateur et expérimental. Si les œuvres présentées prennent racine dans le passé, elles sont également bien ancrées dans le présent. Cette année, du 27 juin au 22 août, Vincent Chagnon, artiste verrier, et Mélanie Denis, joaillière, représentent le Québec. Sous le thème « Intérieurs, extérieurs, les espaces de créations », l’un et l’autre dévoileront au public français leurs créations dans la Tonnellerie, un ancien bâtiment du XVIe siècle.

Bien qu’ils recourent à des techniques très différentes, ces artistes ont tous les deux à cœur de manipuler leurs matériaux pour dépasser le côté « utilitaire » de l’objet. Vincent Chagnon crée des pièces en verre aux formes très orga­niques. Il a beaucoup voyagé et s’inspire de différentes techniques pour atteindre ce résultat si particulier. Ses œuvres ne sont pas de simples objets de décoration, mais de véritables sculptures.

Mélanie Denis, elle, présente « de l’anti- bijou »… Ses créations vont au-delà de la « déco­ration corporelle » (selon ses propres mots) et sont fabriquées à partir de métaux précieux, mais aussi d’objets insolites : des morceaux de verre provenant d’une vitre d’abribus brisée, des tickets de stationnement, des boutons, etc. Cette volonté de « débanaliser » des objets de tous les jours est une tendance très courante dans l’art contemporain.

Ces œuvres, et celles aussi des artistes ayant participé aux événements précédents (certains allant même jusqu’à intégrer des nouvelles technologies, comme le transfert de photo ou la projection vidéo, à leurs œuvres), illustrent bien la nouvelle orientation des métiers d’art. Aujourd’hui, les activités qui relèvent des métiers d’art cherchent continuellement à repousser les frontières de la matière et de la créativité. La différence entre ce que l’on appelle les « métiers d’art » et les « beaux-arts » ne repose souvent que sur des questions de procédés, de connaissance des matériaux ou de préoccupations conceptuelles. L’avenir des métiers d’art québécois s’annonce prometteur. Sur les traces de Maurice Savoie (céramiste), de Louise Lemieux-Bérubé (tisserande) et de François Houdé (artiste verrier) existe une relève talentueuse qui suscite l’intérêt et l’admiration partout où elle passe. Rien de tel que de la découvrir !1

1 Ce projet ne serait possible sans la collaboration du Conseil général de la Charente-Maritime, des Offices jeunesses internationaux du Québec (OJIQ) et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (Sodec).