Résidence d’art en intelligence artificielle : rendre l’intelligence artistique et l’artificiel humain
Aux antipodes, l’art et l’intelligence artificielle (IA) ? C’est ce que tente de déconstruire la nouvelle résidence en recherche-création et intelligence artificielle, qui rassemble autant des acteurs de l’IA que des organismes culturels québécois. Incursion dans cette science qui gagnerait à s’adjoindre le qualificatif « artistique ».
La rencontre entre l’art et l’IA n’est pas naturelle, estime Étienne Paquette, auteur et artiste en multimédia, l’un des trois artistes bénéficiaires de cette résidence inusitée.
« L’intelligence artificielle contribuera sans doute dans les prochaines années à rendre nos villes plus fonctionnelles et adaptées aux besoins de chacun, soutient-il. Or l’art n’est pas optimisation, il est même un peu le contraire : il est jeu, accident, surprise, transgression, subversion parfois aussi. »
Si l’art ouvre des espaces de poésie dans les villes et suscite des réflexions, l’artiste se demande toutefois si l’intelligence artificielle peut également jouer un rôle artistique dans la ville.
C’est justement pour obtenir cette perspective perturbatrice des artistes que l’ONF, le Partenariat du Quartier des spectacles, Element AI et le Conseil des arts de Montréal se sont alliés pour offrir une résidence de 50 000 $ et de 200 heures visant la création d’une œuvre intégrant l’intelligence artificielle. Celle-ci doit aborder le rôle potentiel de l’IA dans le développement futur des villes et dans la participation citoyenne au cœur de Montréal.
Ouvrir le dialogue
Mathieu Marcotte, directeur de la relation avec la communauté pour la jeune pousse Element AI, a proposé ce programme. Le maillage entre les deux univers lui est venu après une première collaboration de l’entreprise avec l’artiste anglais Mat Chivers pour son œuvre Migration (2018). « Les développeurs qui ont travaillé sur cette œuvre ont pu concrètement voir le résultat de leurs efforts dans une exposition, chose qu’ils ont rarement la chance de faire, explique-t-il. Nous recevions aussi beaucoup plus de demandes d’artistes que nous pouvions en produire et je trouvais ça dommage. »
Durant le colloque I.A.rt, tenu en février 2018, auquel la société Element AI a pris part avec des acteurs des deux milieux, les participants ont lancé l’idée de mettre sur pied un groupe de travail pour que les secteurs puissent se nourrir mutuellement. Or le projet s’est plutôt transformé en résidence : celle-ci constitue un premier volet destiné à montrer tout le potentiel de cette union à d’autres joueurs éventuellement désireux de se joindre par la suite à la discussion.
« Nous avons opté pour la résidence, car nous ne voulions pas qu’un artiste obtienne un outil pour sa seule démarche personnelle et reparte ensuite avec cet outil, sans qu’il y ait eu d’échange », mentionne celui qui agit aussi comme chargé de projets pour cette résidence.
Un jury, composé de chaque représentant des membres organisateurs de même que d’experts en art, s’est donc réuni en avril dernier pour analyser les 111 demandes reçues. Parmi les six finalistes retenus, le choix du jury s’est arrêté sur la proposition L’éclat du rire, d’Étienne Paquette, de la conceptrice multidisciplinaire et scénographe Mélanie Crespin et de la clown et créatrice de spectacles de rue Muriel de Zangroniz.
Le rire « artificiel » peut-il devenir poésie urbaine ?
C’est le rire dans sa dimension sonore – physique et esthétique – que les artistes ont voulu creuser, c’est-à-dire le rire sans l’humour, pris indépendamment de ce qui le cause.
« Mélanie, Muriel et moi nous retrouvions autour d’une certaine sensibilité à la solitude dans nos villes et autour d’une réflexion sur le lien entre le rire et la solitude, explique Étienne Paquette. Par sa simple sonorité, le rire peut rallier les gens, ou il peut au contraire créer de l’interférence, rompre avec le cours des choses et inquiéter; il participe à la cohésion des communautés et il opère une distanciation. »
Les artistes souhaitaient aussi éviter de tomber dans la mythologie médiatique autour de l’humanisation de la machine. « L’intérêt nous semblait plutôt résider dans la dimension concrète de l’expérience, affirme-t-il. Quel rôle un système intelligent, défini par son utilité, peut-il jouer dans une expérience artistique “inutile” tournée vers la sensibilité ? »
Après avoir enregistré des rires, les artistes en sont maintenant à l’étape de voir avec les développeurs d’Element AI ce qu’il est possible de faire avec les technologies existantes et la création potentielle d’un outil. « Pour notre entreprise, l’objectif de la résidence n’est pas commercial, précise Mathieu Marcotte. Il s’agit plutôt d’une façon de faire de la recherche appliquée. »
La résidence de recherche-création s’est déroulée d’avril à octobre 2019. Selon ce qui en découlera, le résultat pourrait être diffusé.