Sculpture du Québec au Musée Rodin
L’exposition Panorama de la sculpture au Québec, 1945-1970 a ouvert ses portes, au Musée Rodin, le 27 octobre 1970, et durera jusqu’au 4 janvier 1971. Ce Panorama comprend 88 des 92 œuvres exposées, l’été dernier, au Musée d’Art Contemporain.
C’est à Mme Cécile Goldscheider, Conservateur du Musée Rodin, qu’il doit d’être présenté en France, et cela grâce au fait que Mme Goldscheider n’est pas un conservateur ordinaire. Au lieu de se contenter de présenter au public les œuvres du génial artiste français (ce qui, étant donné leur importance, aurait de quoi l’occuper pleinement), elle essaie aussi de le familiariser avec la sculpture d’aujourd’hui. Elle n’épargne ses efforts ni pour l’une ni pour l’autre cause.
Dans le bâtiment principal, consacré à Rodin, elle a fait récemment beaucoup d’améliorations touchant aussi bien l’aménagement des locaux que la présentation des œuvres. « Nous avons pu racheter les boiseries anciennes des salles en rotonde destinées aux classiques (Le Baiser, Eve, L’Age d’airain) et nous avons ajouté, dans les salles consacrées aux œuvres de jeunesse, des meubles ayant appartenu à l’artiste. Ils y apportent une note de chaleur et d’intimité. Nous construirons également une galerie extérieure, dans le style du bâtiment principal, pour les grands marbres de Rodin. »
La diffusion des œuvres actuelles continue aussi à un rythme régulier, ainsi que l’amélioration des conditions de présentation. Depuis 1964, une Biennale des Formes Humaines a lieu régulièrement dans les jardins du musée. Elle est devenue l’une des manifestations les plus importantes de la jeune sculpture. Mais le plein air a ses limites. Aussi Mme Goldscheider a-t-elle décidé, tout récemment, de transformer en salle d’expositions temporaires la chapelle aujourd’hui désaffectée des Dames du Sacré-Coeur, anciennes propriétaires de l’hôtel particulier où est installé le Musée Rodin.
« Nous avons conservé certains éléments d’un décor un peu médiéval qui ne gêne pas du tout », explique-t-elle, « et cette salle pourra nous être très utile. » Bien que le plafond en ait été rabaissé la salle conserve en effet des proportions très flatteuses pour la présentation des sculptures. Le sens de l’espace n’a-t-il pas été de tout temps la préoccupation des créateurs?
C’est dans cette salle nouvelle que le Panorama de la sculpture au Québec s’est installé pour plus de deux mois.
L’espace y étant moins vaste que celui du Musée d’Art Contemporain, il a donné lieu à un type de présentation différent de celui qu’avaient conçu MM. Hénault et Barras. Puisqu’il était impossible de mettre un accent particulier sur chaque œuvre en l’isolant, on a décidé de les faire vivre ensemble. Heureuse solution! Il est en effet intéressant d’embrasser du regard une salle où les créations de Roussil, Vaillancourt, Trudeau, Soucy, Peter Gnass, Cleary, côtoient celles de Suzanne Guité, Gaétan Therrien, Roger Cavalli, ou celles d’Archambault. La confrontation entre des tempéraments et des orientations aussi divers, pour ne pas dire opposés et contradictoires, offre une possibilité de lecture très stimulante au visiteur, qui ne peut plus ensuite douter de la vitalité de la sculpture au Québec.
Une visite aux galeries latérales le confirmera dans cette impression puisqu’il y découvrira Mousseau, Molinari, Gauguet-Larouche, Dallegret, Anne Kahane, Lise Gervais.
Il pourra même faire des rapprochements intéressants. L’opposition est sans doute absolue entre les œuvres d’un Vaillancourt et celles d’un Archambault, mais, entre les délicates compositions d’un Peter Gnass et le torse en marbre de Hans Schleeh, la sensibilité est du même ordre si le langage artistique diffère. Seule la Libido de Bourgault risque de déconcerter les critiques, mais elle intéressera sûrement les ethnologues freudiens!
« Ce Panorama m’apporte personnellement beaucoup. Il m’a permis de réfléchir sur un problème très important de la sculpture contemporaine : celui des mots…», d’avouer Mme Goldscheider, qui n’a pas l’habitude de présenter certain type d’œuvres très à l’avant-garde. « Lorsque l’esprit travaille plus que la main (c’est le cas dans certaines œuvres de Comtois), le terme structure me semblerait plus indiqué. Quant au terme sculpture, il ne devrait s’appliquer que lorsque l’esprit et la main travaillent en association. Cette remarque provient seulement de mon souci de trouver un vocabulaire exact. La structure de Comtois est très suggestive puisque le spectateur peut créer lui-même sa sculpture à partir de ce qu’a fait l’artiste. »
— Comment avez-vous conçu la mise en place de l’exposition?
« En essayant d’en faire ressortir l’harmonie par le rapprochement des matériaux, des styles. On ne peut jamais partir d’une idée préconçue. Certaines sculptures s’entendent bien entre elles; il faut chercher leurs mystérieuses affinités. »
— Avez-vous des préférences parmi les artistes représentés dans ce Panorama?
« Il est certain que chez Vaillancourt, Roussil et Trudeau, on a plus le sentiment d’une lutte de la personne avec la matière. Je regrette cependant qu’il n’y ait pas dans cette exposition plus de sculpture figurative; il me semble que c’eût été plus fidèle au terme même de Panorama de la sculpture au Québec. »
— Que représente une exposition étrangère dans votre Musée?
« Un effort pour révéler au public français l’activité artistique d’un autre pays, en général assez éloigné de la France, ce qui ne nous permet pas de bien le connaître. C’est le cas du Québec. Nous garderons Panorama pendant toute la durée des Fêtes de fin d’année. Il y a un très grand nombre de visiteurs à cette époque; ce sera bon pour la diffusion. »
— Depuis six ans que vous allez au Québec, avez-vous constaté une évolution dans le monde de la sculpture?
« En 1964, j’avais fait une conférence sur Rodin à l’École des Beaux-Arts de Montréal. Les élèves auraient presque eu besoin d’une initiation pour comprendre le cheminement de Rodin. Cette œuvre les plaçait devant des problèmes de formes auxquels ils n’avaient presque jamais réfléchi. Quelques années plus tard, ils étaient beaucoup plus avertis. Sans doute faut-il rendre hommage ici aux galeries d’art qui, en présentant des œuvres de tendances très diverses, Arp, Moore, César, ont diffusé la révélation d’un monde de formes pas encore très répandue au Québec », explique Mme Goldscheider. « D’une façon générale, placés entre deux influences redoutables, celle des États-Unis et celle de la France, vos artistes ont réagi de façon originale. Il n’est que de voir votre intéressante technique de la combustion dirigée ou votre façon de travailler la pierre dure… »