CODE BLANC, collectif d’artistes composé de My-Van Dam, Stanley Février et Maryam Izadifard, remet en question par son travail les processus décisionnels et les relations de pouvoir au sein du milieu des arts, en particulier en ce qui concerne l’inclusion et la diversité. Les trois artistes, qui appartiennent à des communautés immigrantes – Dam étant née au Québec, Izadifard et Février ayant immigré au Québec il y a plus de 30 ans –, ont vécu des injustices systémiques dans le cadre de leur pratique et de leur formation.

Dès l’université, tous trois ont été confrontés au fait d’être des artistes racisés dans un contexte majoritairement blanc, à l’exclusion des pairs, à une grande difficulté à exposer leur travail, et à un manque de volonté de nombre de leurs collègues de reconnaître l’impact de ce vécu1. De la difficulté à obtenir du financement à l’exclusion des programmations des musées et centres d’arts et à un état de précarité financière, Dam, Février et Izadifard ont affronté ces inégalités structurelles à certains moments de leur parcours.

Alors que les efforts d’inclusion apparaissent, les changements sont lents, partiels, et la plupart du temps insatisfaisants. En fait, souvent, les personnes concernées sont carrément exclues des processus d’élaboration de programmes et de politiques qui pourtant visent leur inclusion. Si toutefois ils se voient octroyer un pouvoir décisionnel, le fardeau de la représentativité leur revient entièrement, puisqu’il devient de leur ressort de répondre pour l’ensemble de leur communauté. Il leur est donc confié la responsabilité individuelle de résoudre le racisme institutionnel, enjeu pourtant systémique. De même, de ces initiatives naît le phénomène du tokénisme, c’est-à-dire la nomination à un poste ou l’inclusion dans une programmation d’une personne racisée, simplement afin de pouvoir dire qu’on l’a fait, afin de « cocher une case ». Cette conception de la diversité apparaît alors comme une catégorie plus exclusive qu’inclusive : ceux et celles qui peuvent s’y inscrire se voient inclus, mais systématiquement en tant qu’autres : l’institution majoritairement blanche – le centre d’artistes, l’organisme subventionnaire, le musée, la galerie commerciale – semble incapable de les accepter, ou peu intéressée à le faire en bonne et due forme.

Vue de l’exposition Le Ministère de CODE BLANC (2022) Photo : Guy L’Heureux. Courtoisie du centre d’artiste articule

En sont ressortis, au fil des deux consultations auxquelles j’ai assisté, un partage des différents vécus et des discriminations subies, puis des discussions, parfois animées, parfois tendues, sur la marche à suivre pour changer l’état des choses.

C’est à la suite de ces expériences que le collectif se forme en 2018. Dès ses débuts, le trio critique ces politiques et ces conditions inadéquates de l’inclusion. Dans la vidéo Policy Project (2018), des mots qui, dans diverses langues, touchent au racisme ou à la diversité sont projetés sur les corps et les visages des artistes, comme une étiquette imposée sur eux. En guise d’écho, le triptyque photographique Looking Foward (2020) superpose des portraits des artistes de dos avec des écrits activistes réalisés par des artistes et des commissaires racisées sur leurs conditions de pratique, afin de mettre ces réflexions en lumière.

Le Ministère, leur première exposition en tant que collectif, présentée au centre articule (Montréal) à l’automne 2022, est une installation performative dans laquelle cette perspective critique se poursuit à travers une reprise des codes des organismes subventionnaires et du gouvernement. La galerie devient le bureau du collectif, où chacun devient « ministre ». Tout comme dans ces tels espaces, on y retrouve leurs pancartes électorales, leurs portraits officiels, leurs postes de travail, différents pamphlets et documents informatifs, puis le logo du collectif, rappelant la forme caractéristique de celui du Conseil des arts et des lettres du Québec. Sur des affiches, on demande : « Qui prend les décisions ? » ; « Les décisions pour qui ? Par qui ? » ; « Où est le dialogue ? » ; « La discrimination positive, pour combien de temps ? ». Une série photographique documente une performance dans laquelle Dam, Février et Izadifard investissent l’accueil du Conseil des arts et des lettres du Québec et celui du ministère de la Culture et des Communications. À travers le détournement de l’esthétique administrative, CODE BLANC infiltre symboliquement les lieux de pouvoir culturels que sont les organismes subventionnaires et l’État, alors que, souvent, on en exclut les artistes marginalisés.

De gauche à droite : My-Van Dam, Stanley Février et Maryam Izadifard. Photo : Marc-André Dupaul
Photo : Marc-André Dupaul

Pour appuyer ce caractère critique, le Ministère entreprend un dialogue avec leurs collègues-artistes, commissaires, et travailleurs et travailleuses culturels. En plus d’un sondage portant sur l’expérience de la diversité, disponible dans l’espace de la galerie, une vidéo propose un montage de plusieurs de ces acteurs et actrices discutant de leurs expériences et conceptions de la diversité telle qu’elle est présentement appliquée dans les sphères des arts visuels. Surtout, les artistes-ministres ont effectué des consultations, activations performatives de l’œuvre. Ces dernières ont été l’occasion pour le trio d’inviter la communauté à discuter des enjeux soulevés par l’installation : si, en tant que chercheur et en tant que travailleur culturel blanc, j’ai eu l’occasion d’y écouter mes collègues racisés et de mieux comprendre leurs expériences du racisme systémique, ces discussions sont peut-être davantage devenues un moyen de prendre la parole. En sont ressortis, au fil des deux consultations auxquelles j’ai assisté, un partage des différents vécus et des discriminations subies, puis des discussions, parfois animées, parfois tendues, sur la marche à suivre pour changer l’état des choses.

Car au cœur de la portée du Ministère et de CODE BLANC se trouve l’idée d’autonomisation (empowerment), soit la prise de pouvoir par des groupes et des individus afin de pouvoir faire face à leurs propres conditions et les améliorer2. Le détournement esthétique du langage administratif puis la phase consultative s’inscrivent dans cette logique : elles permettent de recentrer le discours de l’inclusion sur les personnes et groupes concernés. Cette préoccupation se manifeste dans le travail à venir, alors que Dam, Février et Izadifard se sont attribués des mandats : l’appui aux organisations souhaitant améliorer les conditions de travail des artistes marginalisés, le développement de nouvelles politiques et de nouvelles ententes, entre autres. À partir de leur Politique d’Empowerment, d’Équité, d’Égalité et de Justice (PEEEJ), il s’agit de combiner la pratique artistique avec une pratique politique : trouver des manières de s’attaquer structurellement au racisme systémique, créer des outils en partenariat avec les organismes et institutions culturels pour le développement professionnel des artistes marginalisés, puis défendre leurs droits au sein de ces derniers. Dans leurs projets à venir, alors que les consultations se poursuivront et que seront de mieux en mieux cernés les besoins de leurs collègues, CODE BLANC continueront de poser les pierres d’un milieu culturel plus équitable, diversifié et juste. 

1  Diamond Yao, « Critiquer le milieu de l’art avec l’art », Le Devoir, édition du 2 novembre 2022.

2  Je reprends ici la définition de l’empowerment/autonomisation donnée par CODE BLANC. Les mandats, politiques et rôles de chacun des ministres du collectif sont disponibles via le site Web du projet, au www.code-blanc.com/leministere.

CODE BLANC, Looking forward (2020) Photos : Jean Turgeon